AL-AHRAM HEBDO : Face aux attentats qui ont touché la capitale française la semaine dernière, beaucoup ont parlé d’un 11 septembre français. Qu’en pensez-vous ?
Essam Abdel-Fattah : Les attentats de Paris ont pour origine le même fléau qui menace l’humanité tout entière : le fondamentalisme terroriste. Le danger de l’intégrisme terroriste tient à ce que ses auteurs croient détenir et posséder tous seuls la vérité absolue, vérité qu’ils attribuent à leurs croyances ou plutôt à leur propre lecture des textes sacrés. L’illusion de la vérité absolue est partagée par tous les fondamentalistes sans exception. Elle les amène à une conclusion inévitable : toute autre lecture différente de la leur relève de l’hérésie, d’où le djihad ou bien ce qu’ils appellent la guerre sainte contre les « hérétiques ». Ce qu’ils prennent pour une guerre sainte contre l’hérésie se traduit par le terrorisme que l’on a vu survenir en Egypte depuis la fin des années 1980, en passant par le massacre de Louqsor jusqu’aux attentats au Sinaï. On l’a vu également aux Etats-Unis dans les attentats du 11 septembre. Et auparavant à Paris, lors de l’attentat contre Charlie Hebdo en janvier dernier. Or, les récents attentats dépassent de loin, par leur ampleur, leur gravité et leur mode d’exécution planifié celui de Charlie Hebdo. Il n’est donc pas question du nouveau 11 septembre français, mais d’un épisode, parmi une dizaine d’autres en France.
— Qu’est-ce qui distingue donc ces attentats de ceux du 11 septembre ?
— Ils en diffèrent sur quelques points. Premièrement, la cible : les attentats de Paris visent principalement des êtres humains, les Français, alors que ceux de New York visaient un centre commercial géant : les tours jumelles, symbole important de la puissance américaine. Le fait de cibler Paris et les Français eux-mêmes, conformément au discours de Daech où il revendique ces attentats, tient pour les terroristes à ce qu’il est considéré par eux comme la capitale des « abominations et de la perversion », à ce que la France et l’Allemagne seraient des Croisés et que le Bataclan serait un lieu de rassemblement des idolâtres dans une fête de perversité. Deuxièmement, la motivation directe. Les terroristes ont perpétré leurs attentats à Paris en représailles contre la France pour le fait d'avoir fait cavalier seul, soit au Mali contre Boko Haram, soit en Syrie contre Daech.
— Le président français a déclaré que la France était en guerre. Quel genre de guerre entend-il par sa déclaration ?
— Il est clair que le président français qualifie dans son discours ces attentats terroristes d’acte de guerre contre la France. En effet, leur gravité qui s’apprécie au nombre de victimes et de blessés, la minutie avec laquelle ils ont été commis et la capacité de leurs auteurs à infiltrer les appareils de sécurité d’un grand Etat tel que la France en profitant assurément d’éventuelles failles pour commettre un carnage épouvantable vont causer à toute la France un grave traumatisme. Et rien ne pourra guérir ce traumatisme que la guerre contre le fléau de terrorisme.
— Comment, à votre avis, ces attaques peuvent- elles modifier la conception de la guerre contre le terrorisme ?
— Il n’est nul doute que les attentats de Paris ont un impact traumatisant sur toute la France, voire sur toute région du monde atteinte de ce fléau. Ils peuvent être un signe prémonitoire d’autres attentats imminents en France. La guerre contre le terrorisme exige, pour être décisive, la solidarité de tous les pays du monde. Car les terroristes ne travaillent que dans l’ombre, ils sont toujours invisibles, on peut les croiser sans les reconnaître comme tels. Les attentats de Paris sont aussi un signal d’alarme dans la mesure où les autorités doivent absolument prendre toutes les dispositions et les mesures nécessaires afin de parer à de futurs attentats. On le voit actuellement en France : interdiction de manifestations, état d’urgence décrété, etc. Mais je pense que le seul moyen immédiat et efficace pour lutter contre le terrorisme consiste en la solidarité entre tous les Etats du monde dans la guerre contre ce fléau.
— Etant perpétrées par des ressortissants français ou européens, ces attaques peuventelles remettre en cause les politiques d’intégration des étrangers ?
— Ces attentats vont servir d’argument pour les xénophobes et l’extrême droite en France dans leur discours contre l’intégration. Mais estce la politique d’intégration qui est responsable du terrorisme ? Rien n’est plus faux que ce genre d’argument. Si certains Français d’origine maghrébine se sont radicalisés et ont rejoint Daech, on en trouve d’autres qui ne sont pas d’ascendance étrangère et qui y ont adhéré. En effet, un grand nombre d’Européens, de Russes, d’Américains de souche font partie des milices islamistes de Daech. Il serait donc faux de relier le terrorisme à une politique qui consiste à intégrer un étranger dans la société civile. Ce sont plutôt les facteurs socioéconomiques : pauvreté, misère, injustice sociale, qui peuvent, par contre, pousser les jeunes, de quel que pays qu’ils soient, à se radicaliser sans forcément joindre l’EI.
— Les attentats de Paris ne réaniment pas, à votre avis, le concept de « guerre des civilisations » ?
— Non, je ne le pense pas. La thèse de la guerre des civilisations est absurde et invraisemblable. Qui mène la guerre contre qui ? Le fondamentalisme ou l’intégrisme est, à mon avis, le facteur fondamental du terrorisme. Le fondamentalisme ne se borne pas à une religion quelconque, on le retrouve dans toutes les religions, dans toutes les idéologies. Combien d’attentats terroristes ont été perpétrés au nom de l’idéologie ? Combien d’êtres humains ont été massacrés au nom du nazisme, du fascisme, du stalinisme, de l’intégrisme juif ou chrétien du Moyen Age ? Le terrorisme commence à voir le jour dès que l’on croit posséder tout seul la vérité absolue et, par la suite, diaboliser l’autre.
— Selon vous, quel est le meilleur moyen pour lutter contre le terrorisme aux niveaux culturel et idéologique ?
— Quant à l’origine de ce mal, il faut une série de mesures radicales aux niveaux nationaux. D’abord, réformer l’éducation et la transformer d’une éducation fondée sur la mémorisation des textes pris pour l’expression de la vérité absolue en une éducation créative fondée sur l’usage de la raison. Ensuite, séculariser la culture et l’enseignement par les médias qui auront certainement un grand rôle à jouer en exhortant l’homme à penser par luimême et sans préjugés.
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