L’etat islamique (EI) a revendiqué les attaques terroristes qui ont touché le coeur de la capitale française et qui ont fait au moins 132 morts. Pas de surprise. Le président français, François Hollande, n’avait en effet pas attendu cette revendication pour affirmer qu’il s’agissait d’un «
acte de guerre commis par une armée terroriste, Daech, une armée de djihadistes, contre la France ». François Hollande a bel et bien utilisé le terme «
armée », reconnaissant de fait la puissance qu’a désormais l’EI. Une puissance qui impose de nombreuses questions. Car au-delà de l’enquête elle-même sur les éléments internes et externes ayant commis les attentats, l’heure est aujourd’hui à la réflexion.
Que doit-on retenir de ces attaques ? Qu’est-ce que cela veut dire de la stratégie de l’EI que ce soit en Occident ou dans les pays où il est présent sur le terrain ? Daech est-il déstabilisé en Syrie ? Cherche-t-il désormais tous les moyens pour exister ?
Ce qu’il faut d’abord retenir, c’est que les modes d’action des terroristes sont en constante mutation, pour s’adapter aux parades mises en place et aux objectifs. On peut noter deux changements du mode d’action : d’abord, pour la première fois en France des kamikazes ont frappé. Ensuite, les terroristes ont attaqué 6 sites différents à la fois, là encore un changement radical. Jamais la France n’avait été confrontée à tant d’attaques simultanées. En une seule soirée, la France a subi sur son sol des pertes pour faits de terrorisme deux fois et demi plus élevées que durant l’ensemble des 35 dernières années.
Mais pourquoi la France en particulier alors que d’autres pays sont engagés dans la lutte contre l’Etat islamique ? D’après Ali Bakr, spécialiste dans les affaires des mouvements islamistes, « la France a une histoire dans la lutte contre les djihadistes, et, pour Daech, la France est l’un de ses grands ennemis. Et ce, puisqu’elle combat les djihadistes en Afrique, notamment au Mali, où elle a réussi à les vaincre dans une certaine mesure. Daech veut donc se venger. De même, pour l’Etat islamique, la France est une terre où il est relativement facile de recruter, notamment en raison de l’existence d’un nombre important de citoyens musulmans qui ne sont pas d’origine française, qui sont souvent marginalisés et qui constituent des cibles faciles de recrutement ».
Dilemme
L’ampleur et la coordination des attaques posent Paris, mais aussi bien d’autres capitales, face à un dilemme important : faut-il intensifier la guerre contre le terrorisme, telle qu’elle est conçue à l’heure actuelle (frappes aériennes militaires conduites par plusieurs parties en Syrie, dont la France, la coalition anti-EI et la Russie) ? Ou bien faut-il revoir dans son fond le concept même de lutte contre le terrorisme ?
Les premières réactions de Paris et l’intensification des frappes aériennes françaises contre des fiefs de Daech en Syrie indiquent que la France a opté pour le premier choix. Même s’il s’est avéré clairement que ce choix a de grandes chances d’être erroné. « Ce que les Occidentaux omettent souvent, c’est que le groupe Daech est devenu une idéologie plus qu’une organisation armée. Des milliers de personnes de divers pays du monde sont convaincus par ses idées, ou tout simplement par l’idée d’être différent. Le show mené par ce groupe attire aussi différentes catégories. C’est pourquoi, malgré tout ce que l’on dit, l’EI a des sympathisants. La preuve en est que ce genre d’attaque a lieu au sein de l’Europe, par des Européens », explique ainsi l’analyste Ali Bakr. Et d’ajouter : « L’injustice et les conflits internes, qu’ils soient confessionnels ou politiques, ont présenté une terre fertile à ce groupe pour se développer rapidement ».
Une affirmation que les dirigeants occidentaux semblent souvent oublier, bien qu’ils soient conscients que la menace pèse toujours. « La France doit se préparer à de nouveaux attentats qui pourraient intervenir aussi dans d’autres pays européens, dans les jours ou semaines à venir », a prévenu lundi dernier le premier ministre français, Manuel Valls. Alors que son homologue britannique, David Cameron, a déclaré sur la BBC : « Nos services de sécurité et de renseignements ont empêché quelque chose comme 7 attaques sur les 6 derniers mois, même si ces attaques étaient d’une moindre envergure ».
Les experts en terrorisme sont en effet quasi unanimes : l’EI peut encore frapper ailleurs. « Il est très difficile de prévenir ce genre d’attaques terroristes. Elles peuvent avoir lieu n’importe où, à tout moment », estime le général Talaat Mossallam, expert dans les affaires du terrorisme. « Cela dit, ajoute-t-il, l’EI est en perte de vitesse. Par ce genre d’actions, il est en train de masquer ses pertes en Syrie et en Iraq ».
Pour le moment, les dirigeants occidentaux se contentent d’insister sur la menace qui pèse sur leurs pays et sur la riposte ferme qu’elle doit engendrer. Les attentats de vendredi dernier à Paris ont ainsi imprimé leur sceau macabre tout en haut de la feuille de route du sommet du G20, les leaders des plus grandes puissances du monde ayant observé une minute de silence et multiplié les déclarations d’empathie avec la France et de fermeté contre le terrorisme. En Turquie, où se tient le sommet du G20, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a promis une réponse « très forte, très dure ». « Il nous faut agir ensemble pour faire en sorte que les mailles du filet, qui sont un peu larges aujourd’hui, rétrécissent au point qu’à l’avenir on puisse repérer beaucoup plus » de financement du terrorisme qu’aujourd’hui, a de son côté dit le ministre français des Finances, Michel Sapin. Il a aussi été question de « renforcer leur coopération pour limiter la liberté de circulation des terroristes, lutter contre la propagande sur Internet et accroître la traque financière du terrorisme ».
Autant de déclarations de bonnes intentions qui n’ont rien de nouveau et qui attendent d’être traduites en actions concrètes. « La lutte anti-Daech va traîner en longueur. D’abord, parce qu’aucun pays ne veut prendre le risque de s’aventurer sur le sol. Ensuite, et surtout, parce qu’il n’existe pas de volonté internationale réelle pour lutter contre ce groupe. Et parce que les intérêts propres à chaque pays ne sont pas tous compatibles », conclut Ali Bakr.
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