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Mohamad Gomaa : La vraie question ne concerne pas les moyens de vaincre Daech, mais l’après-Daech

Maha Salem, Mardi, 31 mars 2015

Dr Mohamad Gomaa, chercheur au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS)d’Al-Ahram, sur l’offensive de Tikrit et les tensions chiites-sunnites en Iraq.

Al-Ahram Hebdo : Il y a plus de deux semaines, l’armée iraqienne a déclaré imminente la reprise de Tikrit, mais à ce jour, cela n’a pas été réalisé. Pourquoi ?
Dr Mohamad Gomaa : La situation à Tikrit est catastrophique, cette ville est comme une bombe prête à exploser à tout moment. Il est vrai que l’armée iraqienne assiège Tikrit depuis plus de deux semaines en attendant d’y péné­trer. Mais elle a fait face à un changement de stratégie de la part des djihadistes de Daech : ils ont implanté des mines antipersonnel par­tout. Chaque pas est devenu risqué.

L’armée peut pénétrer, mais les dégâts et les pertes seront très importants, c’est pour cela que les militaires iraqiens préfèrent attendre la fin des travaux des experts pour évaluer les risques. Cette stratégie retarde seulement la reconquête de Tikrit, mais ne l’empêchera pas.

Dans le reste de la province de Salaheddine, la situation est aussi critique. Les points impor­tants pour reconquérir Mossoul, comme Al-Anbar ou Ninawa, sont difficilement récu­pérables. Tout d’abord à cause de la géogra­phie d’Al-Anbar, dont une grande partie est ou désertique ou montagneuse. Ensuite, les habi­tants sont sunnites. Et il y a déjà de fortes ten­sions. Après les critiques lancées contre les milices chiites qui participent à cette offensive, elles ont annoncé qu’elles n’entreraient pas à Tikrit. Mais des exactions ont déjà eu lieu, les milices chiites ont commis des actes de vio­lence et de torture contre les habitants et les tribus sunnites. Ce qui fait que les sunnites sont pris en tenaille entre les deux camps : les chiites et Daech.

— Cet état des lieux ne fait-il pas craindre un renforcement des tensions confessionnelles ?
— Il ne faut pas oublier que l’Iraq est tou­jours en situation de guerre. L’instabilité et l’insécurité planeront sur l’Iraq tant que les différends politiques et que la crise entre les sunnites et les chiites existent, et cela même si on arrive à vaincre Daech. Car la crise essen­tielle en Iraq est confessionnelle et politique. Les sunnites souffrent d’injustice, ils sont pri­vés de tout privilège et ont été mis à l’écart depuis la chute de Saddam Hussein. Le régime iraqien insiste à les écarter politiquement. Auparavant, la responsabilité était jetée sur Nouri Al-Maliki, ex-premier ministre. Mais l’actuel premier ministre, Haidar Al-Abadi, reste les bras croisés devant son entourage qui applique et suit la même politique. Une poli­tique qui attise les tensions entre les chiites et les sunnites et qui peut même conduire à une guerre confessionnelle.

— On se trouve donc face à un affronte­ment sunnite-chiite d’une grande ampleur ...
— Certainement. Si une guerre confession­nelle éclate en Iraq, elle risque de s’étendre à toute la région. Car la région fait face à une extension du chiisme. C’est pour cela que la vraie question ne concerne pas les moyens de vaincre Daech, mais l’après-Daech. De même, il ne faut pas négliger le rôle iranien. En armant les milices chiites, l’Iran exerce une certaine hégémonie sur le régime iraqien. Ce dernier doit donc oeuvrer pour une issue à long terme qui inclut trois axes : désarmer les milices chiites, redonner aux sunnites leurs droits dans tous les domaines et les réintégrer dans la vie politique.

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