Al-Ahram Hebdo : Il y a quatre ans, la crise syrienne a commencé par une simple révolte contre le régime. Comment les choses ont-elles évolué pour en arriver à ce stade ?
Dr Mohamad Gomaa : La crise syrienne s’est détériorée à cause de deux raisons : tout d’abord, la gestion par le régime des premiers mouvements de révolte. Au lieu d’ouvrir des points de connexions avec les révolutionnaires, de trouver des solutions pacifiques, de répondre à leurs revendications, le régime de Bachar Al-Assad a fait usage de la force. Cette répression sanglante a poussé les opposants au régime à camper sur leur position et sur leurs revendications. Seconde raison, la position des pays de la région. Chaque pays a cherché ses intérêts et les conflits régionaux ont joué un rôle important dans cette affaire. La Turquie, qui a longtemps été un allié important à Bachar, l’a abandonné après plusieurs tentatives de trouver une solution pacifique à la crise, à travers des réformes satisfaisantes pour les révolutionnaires ou encore l’intégration de l’opposition dans la scène politique. Parallèlement, lors de la montée au pouvoir des Frères musulmans en Egypte et en Tunisie, la Turquie avait l’ambition de voir un scénario similaire en Syrie, et ce, pour accomplir son projet d’« islamiser » et de dominer ces trois pays pour renforcer son hégémonie dans la région. Mais la chute des Frères musulmans dans les trois pays a poussé la Turquie à changer sa stratégie. Alors la Turquie a aidé Daech pour imposer l’influence turque et faire chuter Bachar. Mais, ses comptes se sont avérés erronés et ses objectifs non atteints.
— Peut-on parler d’un échec de la révolution, et si oui, pourquoi ?
— L’opposition et les combattants ont, eux aussi, commis de graves erreurs et ils sont en partie responsables de l’échec de leur révolte. Ils n’ont été ni unifiés ni organisés. Dès le début, il n’y avait pas de connexions entre ceux qui combattaient sur le terrain, et l’aile (ou les ailes) politique, si l’on peut dire. Le Conseil National Syrien (CNS) était divisé et désorganisé et aucune coordination ne se faisait entre ce conseil et l’Armée Syrienne Libre (ASL). Cette dernière recevait directement les aides et le financement, ce qui faisait que le CNS n’avait aucun pouvoir sur les combattants.
— Qu’en est-il de l’apparition des différents groupes islamiques opérant sur le terrain ?
— Justement, au départ, plusieurs pays ont versé des aides à l’ASL directement, au moment où elle était encore unie. Mais avec le temps, plusieurs groupes rebelles sont apparus, chacun représentant en quelque sorte le pays qui le finance. Cela a sonné le glas de l’ASL. Aujourd’hui la Syrie est devenue le pays qui attire, le plus, les djihadistes salafistes. Et la bataille contre l’organisation de l’Etat Islamique (EI) est devenue la première priorité pour la communauté internationale et non plus la chute du régime de Bachar. Maintenant, l’Occident doit choisir entre le régime de Bachar ou le Front Al-Nosra ou encore l’EI. Actuellement, la Syrie est divisée en trois forces : le régime syrien domine quelque 35 % de la Syrie, Daech occupe l’Est syrien, ce qui représente 40 %, quant aux 25 % restants, ils sont divisés entre les Kurdes, Front Al-Nosra, l’ASL et d’autres groupes rebelles. Cet état des lieux a fait qu’aucun accord politique n’est, à l’heure actuelle, susceptible d’être applicable sur le terrain.
— Qu’aurait-il fallu faire pour éviter ce retournement de situation ?
— Il fallait fournir ses aides militaires et financières au CNS pour lui donner la force et le pouvoir d’influencer et contrôler l’armée libre et la situation sur le terrain. L’ASL devait être loyale au CNS, ce qui n’a jamais été le cas. Mais il faut ajouter que les pays de la région ont, eux aussi, joué un rôle important dans cette affaire, ils n’ont pas voulu donner cette puissance au conseil.
— Quels sont les scénarios à venir ?
— La crise ne sera pas résolue cette année. Le statu quo planera toujours sur la crise. Il se peut qu’il y ait d’autres tentatives de négociations, mais elles ne risquent pas d’aboutir. En même temps, une intervention militaire est devenue très difficile. Et la solution restera politique. Or, un règlement politique a besoin d’un compromis des différentes parties. L’opposition et les pays du Golfe refusent une solution avec la présence de Bachar. Pour eux, c’est une extension de l’hégémonie de l’Iran et du chiisme en Syrie. En plus, la Turquie refuse la présence de Bachar, car il est devenu son premier ennemi. Quant à l’Iran et à la Russie, ils veulent maintenir Bachar pour exercer leur influence dans la région.
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