Depuis le 15 mars 2011, date du déclenchement de la révolte syrienne, les choses se sont nettement détériorées en Syrie. On est passé d’une révolte pacifique à une insurrection armée face à la répression menée par le régime de Bachar Al-Assad, à un enchevêtrement de crises avec une multitude d’acteurs. Au cours de ces quatre ans, le conflit s’est, en effet, aggravé avec la montée en puissance, en 2014, des djihadistes de l’Etat Islamique (EI), qui sont devenus à la fois les ennemis des rebelles et du régime. Au point que négligeant la crise essentielle de la Syrie, la communauté internationale se concentre aujourd’hui sur la question de l’EI qui s’implante, de plus en plus, en territoire syrien.
« Les révolutionnaires et les protestations pacifiques que l’on avait vus il y a quatre ans ont complètement disparu de la scène. Le soulèvement contre le régime s’est militarisé face à la répression, jusqu’à devenir une guerre civile complexe dans laquelle s’affrontent les forces armées loyales au régime, une dizaine de groupes rebelles, des forces kurdes et deux organisations djihadistes : le groupe Etat Islamique (EI) et le Front Al-Nosra lié à Al-Qaëda », explique Dr Moataz Salama, analyste au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram au Caire.
Malgré l’indignation internationale face au nombre de victimes et à l’utilisation présumée de l’arme chimique par le régime mi-2013, le président Bachar Al-Assad reste plus que jamais accroché au pouvoir et ses forces consolident leur contrôle sur la périphérie de Damas et d’Alep, où s’effrite la présence de la rébellion.
Celle-ci, plus éclatée que jamais dans le nord, le centre et le sud du pays, est affaiblie par la supériorité militaire de l’armée qui la bombarde de barils d’explosifs et s’appuie sur des alliés étrangers, comme le Hezbollah libanais. Quant aux djihadistes, ils contrôlent des régions du nord et de larges territoires dans l’est. Les pays occidentaux qui réclamaient le départ de M. Assad en 2011 sont devenus moins véhéments face à la montée de l’EI, considéré actuellement comme l’organisation terroriste la plus dangereuse et la mieux financée au monde.
Priorité à la lutte anti-EI
Le chef de la diplomatie américaine, John Kerry, a d’ailleurs indiqué que la priorité de Washington était de vaincre l’EI. Depuis mi-2014, les Etats-Unis dirigent une coalition internationale pour combattre le groupe en Iraq et en Syrie, où les djihadistes ont proclamé un « califat » islamique sur les territoires qu’ils contrôlent. Les frappes aériennes de la coalition ont permis notamment aux forces kurdes de chasser le groupe de certaines régions dans le nord de la Syrie. Mais l’EI reste puissant, diffusant des vidéos atroces de décapitations de civils, journalistes et humanitaires qui provoquent des ondes de choc mondiales. Le groupe attire des milliers de combattants étrangers, dont de nombreux Occidentaux, laissant craindre que des djihadistes ne cherchent à mener des attaques une fois de retour dans leur pays natal.
Parallèlement à ce constat amer de la situation sur le terrain, la diplomatie est au point mort, après deux séries de négociations entre régime et opposition qui se sont soldées par un échec sans précédent. Deux émissaires spéciaux ont jeté l’éponge et un troisième tente, en vain, de faire appliquer un gel des combats. L’incapacité de la communauté internationale à mettre fin au bain de sang alimente le sentiment d’amertume et d’abandon des Syriens. « La crise syrienne est devenue le pire désastre humanitaire connu de notre époque, même la question palestinienne n’est pas aussi catastrophique. Et la communauté internationale reste les bras croisées », estime Dr Moataz Salama.
C’est ce qui est d’ailleurs confirmé par le rapport du Haut-Commissariat des Nations-Unies pour les Réfugiés (HCR). Ce dernier a averti du tournant dangereux que prend la crise, car près de 2 millions de Syriens, de moins de 18 ans, risquent de devenir une génération perdue. Et selon les analystes, le Conseil de sécurité ne risque pas de parvenir à présenter un front uni, sur la manière de ramener la paix en Syrie. La Russie, qui dispose d’un droit de veto, bloque toutes les résolutions visant le président syrien Bachar Al-Assad, grand allié de Moscou. Ainsi, l’espoir de paix en Syrie reste limité.
« Les pays de la région, la communauté internationale, l’opposition et les rebelles doivent être aujourd’hui conscients que la crise syrienne a dépassé toutes les limites, et qu’ils doivent mettre de côté leurs propres intérêts et différends afin de sauver la Syrie. C’est seulement à ce moment-là que chaque camp exercera de fortes pressions sur les partis en conflit pour arriver à un règlement politique », conclut Dr Moatez Salama.
Le choc des chiffres
En quatre ans, le conflit syrien a déjà fait 210 000 morts, dont 76 000 pour la seule année 2014, soit la plus sanglante des conflits, selon l’Observatoire Syrien des Droits de l’Homme (OSDH). Sans compter les 840 000 blessés, soit 6 % de la population. Près de 13 000 Syriens sont morts sous la torture dans les prisons du régime de Bachar Al-Assad. D’après l’OSDH, ce chiffre n’inclut pas les 20 000 personnes portées disparues dans les geôles du régime. 3,9 millions de personnes ont quitté la Syrie, s’y ajoutent les 7,9 millions de personnes déplacées à l’intérieur du pays. Selon les Nations-Unies, plus de 12,2 millions de personnes en Syrie ont besoin d’une aide d’urgence. L’Onu nécessitera près de 8,4 milliards de dollars d’aide pour les civils syriens, l’année prochaine. Un chiffre dificile a être versé.
Le conflit syrien a aussi entraîné de lourdes pertes économiques plongeant le pays dans la plus extrême pauvreté. Du début de la guerre en décembre 2014, les ONG internationales estiment l’ensemble de pertes économiques à 192 milliards d’euros, soit 383 % du PIB du pays en 2010. La Syrie vit désormais quasiment sans lumière : 83 % des centrales électriques ne fonctionnent plus, en raison de la guerre civile. Les infrastructures ont été décimées, entraînant des pénuries aiguës non seulement d’électricité mais aussi d’eau et de nourriture, notamment dans les zones assiégées par l’armée.
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