Un premier avion iranien (avec à son bord une équipe du Croissant-Rouge iranien et des médicaments) est arrivé dimanche à Sanaa, au lendemain de la signature d’un accord entre Téhéran et des responsables de l’aviation de la capitale yéménite, contrôlée par la milice chiite des Houthis. Des diplomates iraniens étaient présents pour accueillir ce vol. Dans le même temps, l’agence officielle
Saba a déclaré qu’une délégation houthie menée par un membre de son conseil politique, Saleh Al-Sammad, s’était rendue dimanche à Téhéran pour une visite qualifiée d’«
officielle » et destinée à «
renforcer la coopération, notamment économique et politique, entre les deux pays ».
Des événements loin d’être anodins. Par ces annonces, les Houthis entendent montrer qu’ils sont bel et bien les maîtres de Sanaa. En réaction, le président yéménite, Abd-Rabbo Mansour Hadi, a qualifié l’accord avec l’Iran « d’illégal » et promis de demander des comptes à ceux qui l’avaient signé. Mais le président yéménite, qui est revenu sur sa démission le 24 février dernier, n’a plus aucun pouvoir sur la capitale.
Assigné à résidence par les Houthis pendant un mois, M. Hadi s’est enfui de Sanaa le 21 février et s’est réfugié à Aden, la grande ville du sud. « Nous avons choisi de venir à Aden après que les Houthis eurent occupé la capitale Sanaa. Venir à Aden ne signifie pas revenir à la partition du pays comme le prétendent certains, mais préserver la sécurité et stabilité du Yémen », a ajouté le président, qui a accusé à plusieurs reprises l’Iran de soutenir les Houthis.
Pourtant, le Yémen semble bel et bien aujourd’hui divisé. Le pouvoir légitime, reconnu par la communauté internationale, est désormais au Sud. Et Aden, l’ancienne capitale du Yémen du Sud, est devenue, de facto, la capitale du pays. Le président et le gouvernment y siègent, et même certaines ambassades ont décidé leur réouverture à Aden (Koweït, Arabie saoudite, Emirats arabes unis). Dans le même temps, ces derniers jours, les émissaires internationaux et les représentants de partis yéménites se sont rendus à Aden, dont le secrétaire général du Conseil de Coopération du Golfe (CCG) et l’envoyé spécial de l’Onu, Jamal Benomar.
Le dialogue, où ? Sur quoi ?
Autant de va-et-vient qui n’ont rien apporté. Jusqu’à présent, les tentatives de trouver une issue politique à la crise n’ont rien donné. Et le débat sur le dialogue national s’est transformé en un débat sur le lieu des réunions et non sur leur contenu. Le président Abd-Rabbo Mansour Hadi, réfugié à Aden, fief de ses partisans dans le sud du Yémen, a demandé que les négociations pour une sortie de crise se poursuivaient hors de la capitale, contrôlée par les Houthis, a rapporté l’émissaire de l’Onu, dont le déplacement à Aden est significatif. M. Benomar a aussi indiqué rechercher un « lieu sûr » pour poursuivre les discussions.
Ce dialogue national porte notamment sur la transformation du Yémen en une fédération de six régions, une formule rejetée par les Houthis. Nous avons donc affaire à deux positions diamétralement opposées, voire inconciliables. D’un côté, un président « légitime », en manque de pouvoir, qui affirme rejeter « tout ce qui s’est passé à Sanaa en disant qu’il s’agit d’un coup d’Etat dans tous les sens du terme » et qui annonce son intention de continuer à « faire face aux Houthis ». De l’autre, une milice qui contrôle la capitale, et dont le chef, Abdel-Malek Al-Houthi, insiste sur le fait que le seul salut réside dans l’application de la « déclaration constitutionnelle » par laquelle les miliciens chiites se sont emparés du pouvoir le 6 février.
Dans l’état actuel des choses, l’équilibre des forces rend difficile de parvenir à un quelconque accord. Certes, la « fuite » de M. Hadi de Sanaa et son retour sur sa démission marquent un changement dans le rapport des forces en faveur de l’Etat et aux dépens des Houthis. Il n’en demeure pas moins que ces derniers maintiennent une emprise totale sur la capitale ainsi que sur d’autres régions du pays.
Aujourd’hui, le Yémen est un Etat avec un chef et un gouvernement contraints de s’installer dans la 2e ville du pays, une capitale sous le contrôle d’une milice chiite, des provinces livrées à elles-mêmes, une armée divisée et impuissante, dont les arsenaux sont pillés, et un mouvement sudiste séparatiste qui renaît de ses cendres. Engagé, après le départ forcé de l’ancien président Ali Abdallah Saleh en 2011, le processus politique mis en oeuvre pour stabiliser le Yémen a pris des allures d’une transition vers le chaos.
Saleh accusé de corruption
L’ancien président yéménite, Ali Abdallah Saleh, a accumulé par la corruption une fortune estimée à entre 32 et 60 milliards de dollars en 33 années de pouvoir, selon un rapport de l’Onu, publié la semaine dernière. Le groupe d’experts auteurs du rapport note que cette fortune a été placée dans une vingtaine de pays. Les experts enquêtent aussi sur les liens entre M. Saleh et des hommes d’affaires qui l’auraient aidé à dissimuler ce pactole. Selon le rapport, « les fonds proviennent en partie de la corruption, en particulier celle liée aux contrats pétroliers et gaziers », l’ex-président ayant touché des pots-de-vin en échange de droits de prospection exclusifs. M. Saleh, ses amis et sa famille sont, aussi, accusés d’avoir détourné de l’argent d’un programme de subventions à l’industrie pétrolière et d’être impliqués dans des escroqueries et des opérations d’extorsion de fonds. La corruption a permis à M. Saleh d’empocher près de 2 milliards de dollars par an, pendant trois décennies, souligne le rapport. S’attendant à des sanctions du Conseil, M. Saleh a pris des dispositions pour dissimuler ses avoirs, ajoutent les experts. « Il a eu amplement le temps de circonvenir les mesures prises pour geler ses avoirs », affirment-ils.
De nombreux responsables yéménites interrogés par les experts ont plaidé pour un retour au Yémen des sommes volées par M. Saleh, afin de remédier aux difficultés économiques du pays et de l’aider à rembourser sa dette. Le Yémen a une production restreinte de pétrole, mais ses exportations de gaz et de pétrole représentent 90 % de ses gains en devises étrangères, alors que son économie est au bord de l’effondrement, en raison des crises politiques et de l’insécurité. Avec un PIB de 2 300 dollars p ar habitant et par an, le Yémen est l’un des pays les plus pauvres de la planète et le plus pauvre de la péninsule arabique.
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