C’est avec l’assassinat de l’ancien premier ministre libanais, Rafic Hariri, il y a déjà dix ans, que s’est cristallisé plus que jamais le clivage entre les pro et les anti-Syriens au Liban. Depuis, beaucoup de choses ont changé, notamment en Syrie voisine, avec laquelle le Liban a de tout temps entretenu des relations pour le moins que l’on puisse dire atypiques. Si le meurtre de Rafic Hariri avait plongé le Liban dans l’instabilité, la fissure née de la division entre détracteurs et sympathisants du régime syrien, les crises récurrentes et les cycles de violences ont été exacerbés après 2011, avec notamment la participation du Hezbollah au conflit syrien. Seule milice à être encore armée depuis la fin de la guerre civile libanaise (1975-1990), le Hezbollah est, en effet, pointé du doigt, accusé d’entraîner le Liban dans le bourbier syrien.
Dans une cérémonie à l’occasion du 10e anniversaire de l’assassinat de son père Rafic Hariri, l’ex-premier ministre, Saad Hariri, s’est lancé dans une diatribe contre le régime de Damas et contre le Hezbollah, dont la participation militaire du puissant parti armé aux côtés du régime syrien depuis a été qualifiée de « folie ». « Nous vous disons : retirez-vous de Syrie. Cessez de faire propager les incendies de Syrie vers notre pays », a lancé Saad Hariri, acclamé à plusieurs reprises.
En effet, après une série d’attentats sanglants à travers le pays et le rapt de soldats libanais par des djihadistes en riposte à l’implication du parti chiite dans les combats contre les rebelles et les djihadistes sunnites, le mécontentement des Libanais a pris une nouvelle ampleur. Les rivalités politiques aussi : depuis 8 mois, le poste de président de la République est vacant. Tout comme les facteurs d’instabilité : la modeste armée libanaise est harcelée par des djihadistes à la frontière syrienne, et l’embrasement est attendu à tout moment.
Ainsi, une décennie après la mort de Rafic Hariri, l’heure est amère pour ceux qui avaient cru en une nouvelle ère pour le Liban, dégagé de la tutelle de Damas. Suite à sa mort, le 14 mars 2005, plus d’un million de Libanais, soit un Libanais sur quatre, était descendu dans la rue pour réclamer justice et exiger le départ des troupes syriennes. C’était la première mobilisation du genre dans l’histoire du pays. La « révolution du Cèdre » avait certes conduit au retrait des soldats syriens après 29 années d’occupation, mais aussi à la division de facto des Libanais. Aujourd’hui, affaibli par la guerre, Damas n’a plus la même capacité d’intervention directe au Liban. Mais il reste néanmoins des alliés de Damas au Liban, avec à leur tête le parti chiite Hezbollah. Pour les analystes, la décennie qui a suivi l’assassinat a consacré la prééminence du Hezbollah, allié de l’Iran et accusé de s’arroger le droit de guerre et de paix. « Ce meurtre a eu l’effet d’un coup d’Etat », note Hilal Khashan, professeur de sciences politiques à l’Université américaine de Beyrouth, cité par l’AFP. Hariri « représentait le projet saoudien, et avec son élimination, c’est le projet iranien qui a pris le dessus », dit-il. « Le Liban est alors entré dans l’orbite de Damas, de Téhéran et du Hezbollah, et cet axe l’emporte encore jusqu’à présent », renchérit Daoud Al-Sayegh, ancien conseiller du dirigeant assassiné, également cité par l’AFP.
Aujourd’hui, de nombreuses parties continuent à se battre contre cet état des lieux, y compris le clan Hariri. « Nous refusons que le Hezbollah s’arroge le droit de décider de la guerre et de la paix (...) pour sauver le régime syrien et défendre les intérêts iraniens », a lancé Saad Hariri, qui dit lutter « contre le retour du fantôme de la guerre civile ».
Depuis plusieurs semaines, un dialogue est en cours entre le mouvement présidé par M. Hariri et le mouvement chiite, dans le but de contenir les tensions confessionnelles entre sunnites et chiites. Une tâche difficile. Confiné par sa situation géographique, le pays du Cèdre, avec ses 4 millions d’habitants et ses 17 confessions, continue d’être l’otage des conflits qui l’entourent. Hier, le conflit israélo-palestinien, aujourd’hui, le conflit syrien.
Dix ans après, le TSL toujours impuissant
C’est sous les mandats des anciens présidents français Jacques Chirac et américain George W. Bush que la France et les Etats-Unis ont tout mis à la manoeuvre pour obtenir, par une résolution du Conseil de sécurité des Nations-Unies, la création en juin 2007 du Tribunal Spécial pour le Liban (TSL). Le TSL a pour mission de juger les responsables de cet attentat et d’autres, survenus après le 1er octobre 2004, s’il établit la preuve d’un lien entre tous ces crimes. Ainsi, en février 2012, le TSL a étendu son champ d’action à 3 autres affaires concernant des attaques menées contre trois autres hommes politiques libanais, en lien avec l’assassinat de M. Hariri. Il s’agit de George Hawi, ex-chef du Parti communiste libanais tué dans un attentat à la voiture piégée en juin 2005, de l’ancien ministre de la défense Michel Murr, qui a survécu à une attaque de ce type en juillet 2005, et du parlementaire et ex-ministre druze Marwan Hamadeh, qui a réchappé à une tentative d’assassinat en 2004. Cependant, ce n’est qu’en janvier 2014 que s’est ouvert à La Haye, devant le TSL, le procès des auteurs présumés de l’assassinat de l’ancien premier ministre Rafic Hariri, quatre membres du mouvement chiite libanais Hezbollah, et ce, en leur absence, malgré les mandats internationaux lancés contre eux, le Hezbollah refusant de coopérer avec le TSL. Ce tribunal unique en son genre. Pour la première fois dans l’histoire de la justice internationale, onze juges libanais et internationaux vont se pencher sur le « crime de terrorisme ». Le TSL est également le premier tribunal pénal international qui permet la tenue d’un procès par défaut au cours duquel l’accusé est représenté par un avocat .
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