Al-Ahram Hebdo : Moscou vient d’abriter un premier round de négociations inter-syriennes, mais les véritables acteurs sur le terrain y sont absents. A quoi doit-on s’attendre de ces négociations ?
Dr Mohamad Gomaa: En effet, la situation sur le terrain a complètement changé depuis de début de la révolte syrienne: le régime domine un tiers du territoire, Daech le deuxième tiers, tandis que le troisième tiers est contrôlé par les autres factions dont la plus importante est le Front Al-Nosra, filiale d’Al-Qaëda en Syrie. Cette dernière est devenue plus importante que l’Armée syrienne libre. La situation sur le terrain est donc devenue de plus en plus compliquée. Al-Nosra est actuellement la plus importante faction qui possède une influence sur les autres et même sur les habitants, car elle a pu pénétrer et infiltrer les villes et villages. Et bien sûr, personne ne va négocier avec cette faction, car c’est une branche d’Al-Qaëda, et il n’est pas envisageable qu’elle ait des représentants dans les négociations de Moscou. En même temps, comment imaginer une solution négociée qui ne prenne pas en compte la réalité sur le terrain? Al-Nosra contrôle actuellement plusieurs puits de pétrole qui lui ont fourni plus de 50 millions de dollars l’année dernière, et en plus, il jouit d’une base populaire non négligeable. Cette faction ne cédera donc pas facilement ces gains.
— Pourquoi l’opposition syrienne dite modérée est-elle devenue si faible ?
— Il est vrai que cette opposition ne possède aucune influence sur le terrain. Les communautés internationale et arabe n’ont pas sérieusement aidé l’opposition syrienne. Elles ne lui ont jamais fourni ni le soutien financier ni militaire, lui permettant d’être présente sur le terrain. Du coup, au cours de ces quatre années de crise, l’opposition a perdu son influence. Aujourd’hui, elle ne peut exercer aucune pression sur les parties qui mènent les combats. Dans cette situation, il est difficile d’espérer un règlement rapide. Les négociations n’aboutiront pas à une solution efficace sans la présence des représentants des parties réellement en conflit.
— Tout cela est donc en faveur de Bachar Al-Assad ...
— Absolument. Au cours de ces quatre dernières années, la balance a penché en sa faveur, et il continue à jouir du soutien de la Russie. D’ailleurs, pour Moscou, ces négociations sont l’occasion ou jamais de parvenir à un règlement qui garantisse le maintien de Bachar au pouvoir. La position de la Russie est claire, elle veut garder Bachar sur la scène politique. La Russie voit que l’opposition syrienne est toujours faible et incapable de diriger le pays. Les négociations seront de son point de vue en faveur du régime. De l’autre côté, elle veut utiliser la carte de Bachar comme pression sur l’Occident, surtout dans les autres crises comme celle de l’Ukraine.
— Et pourquoi les Etats-Unis semblent-ils se désintéresser de la Syrie ?
— Les Etats-Unis n’interviennent pas directement, ils se contentent de suivre la situation de loin. Ils savent que le chemin pour un accord entre l’opposition et le régime est long et difficile. Washington profite de cette situation, il veut maintenir l’équilibre entre tous les camps dans cette guerre. Actuellement, le plus important objectif pour les Américains est de détruire Daech et non pas d’en finir avec le régime syrien. En même temps, Washington intervient pour traîner en longueur dans la guerre anti-Daech. Car cette guerre épuise plusieurs éléments de la région: Damas, le Hezbollah et l’Iran. Ce dernier dépense des milliards de dollars en aides financières et pétrolières pour soutenir le régime de Bachar. Les Américains veulent aussi aboutir à un accord avec l’Iran mais à leurs conditions.Alors pour arriver à ce but, il faut épuiser l’Iran pour qu’il cède. Washington a donc un agenda multiple.
— Qu’en est-il du rôle égyptien, alors que Le Caire a récemment abrité une réunion de l’opposition syrienne ?
— Le rôle égyptien est devenu de plus en plus important et il se fait en coopération avec le rôle russe. D’une part, l’Egypte exerce une influence sur l’opposition de façon qu’elle revoie ses exigences à la baisse. De l’autre, la Russie fait pression sur le régime. Si les deux pays réussissent à réaliser cette mission, de vraies négociations entre l’opposition et le régime syrien peuvent avoir lieu.
— Et les autres pays arabes ?
— L’Egypte fait également des efforts auprès des pays du Golfe pour qu’ils changent de position. Au cours de sa dernière visite aux Emirats arabes unis, le président Abdel-Fattah Al-Sissi a déclaré dans une interview au journal Al-Ettihad la position égyptienne envers la crise syrienne. D’abord, il a dit que l’unité de la Syrie est très importante pour l’Egypte et toute la région. Ensuite, il a clairement fait savoir qu’une solution militaire est complètement rejetée, et que le départ du président syrien Bachar Al-Assad n’était plus une exigence pour entamer les négociations avec l’opposition. L’Egypte a toujours gardé une position modérée sur la crise syrienne, contrairement aux pays du Golfe. Mais Le Caire tente de changer cela.
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