Une présidentielle pour deux Tunisies
Correspondance —
Tout porte à croire que Béji Caïd Essebsi (39,46% des voix lors du premier tour) remportera le deuxième tour de la présidentielle tunisienne, qui doit se tenir dimanche 21 décembre et qui l’opposera au président actuel, Moncef Marzouki (33,43%). En effet, la majorité des candidats du premier tour ont annoncé leur soutien à M. Essebsi, à l’exception du parti islamiste Ennahda, qui a préféré faire preuve de neutralité et ne pas donner de consignes de vote. Cela dit, ses partisans opteront sans doute pour Moncef Marzouki. Or, il est clair qu’il existe une crise au sein d’Ennahda. Pour preuve, la récente annonce de l’ancien premier ministre tunisien et ancien secrétaire général d’Ennahda, Hamadi Jebali, de quitter le parti islamiste parce qu’il « ne se retrouvait plus dans ses choix ». Un geste qui affaiblit encore plus Ennahda, et qui suit l’annonce de Nidaa Tounès d’être en mesure de former une coalition majoritaire au Parlement pour gouverner sans avoir à nouer une alliance avec Ennahda. Le secrétaire général de Nidaa Tounès, Taïeb Baccouche, a ainsi déclaré que les partis Union Patriotique Libre (UPL), Afek Tounès, Al-Moubadara et des indépendants « ont publiquement fait part de leur soutien » à Nidaa Tounès.
Le processus électoral, qui a commencé par les législatives et qui doit s’achever par le scrutin de dimanche prochain, a montré un certain nombre de paradoxes en Tunisie. Outre l’affaiblissement d’Ennahda, ce processus a consacré l’ascension d’Essebsi et de son parti. Paradoxe car les jeunes, qui représentent près de 60 % de la population et qui ont essentiellement mené la révolution de 2011, ont choisi M. Essebsi, âgé de 88 ans et considéré comme un symbole de l’ancien régime, voire de l’époque de l’ancien président, Habib Bourguiba. Et M. Essebsi ne cache pas que Bourguiba reste pour lui un symbole et un modèle, celui du « père » de tous les Tunisiens. Or, tenter de faire revivre un tel modèle est loin d’être réaliste. Malgré tout cela, le candidat de Nidaa Tounès reste le favori. Le premier et principal point en sa faveur est la piètre expérience de la Troïka. Mené par Ennahda, le gouvernement de la Troïka a dirigé la Tunisie pendant près de deux ans et s’est attiré le mécontentement d’une large frange de la société. Ainsi, le paysage politique tunisien est devenu marqué par une bipolarisation que de nombreux Tunisiens voient d’un mauvais oeil. En effet, c’est cette bipolarisation qui a poussé nombre de Tunisiens à s’abstenir lors du premier tour. Une abstention à prévoir aussi lors du scrutin de dimanche prochain. Nombreux sont les Tunisiens qui voient en cette bipolarisation un choix entre le symbole du retour de l’ancien régime et celui de ceux qui ont trahi la révolution, à savoir les islamistes qui avaient obtenu la majorité lors de l’élection de l’Assemblée constituante à la suite de la révolution de 2011 et qui n’ont réalisé aucun des objectifs de cette révolution. Un discours que les deux hommes eux-mêmes n’hésitent pas à avoir. S’accusant mutuellement de diviser la population tunisienne, ils ne cachent pas leur animosité l’un envers l’autre. Pour M. Marzouki, son concurrent est un représentant de l’ancien régime. Pour M. Caïd Essebsi, le président sortant est notamment le candidat des salafistes djihadistes.
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