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Le Yémen toujours en proie au morcellement

Hugo Schmitt, Mardi, 16 décembre 2014

Le dernier heurt en date entre l’armée et AQPA s’ajoute à la longue liste de violences perpétrées dans le pays depuis le soulèvement houthiste de cet été.

Le Yémen toujours en proie au morcellement
Des rebelles chiites tiennent un checkpoint à Sanaa en décembre 2014. (Reuters)

Cinq membres présumés d’AQPA (Al-Qaëda dans la Péninsule arabe, groupuscule né de la fusion d’Al-Qaëda au Yémen et en Arabie saou­dite en 2009) ont été tués samedi 13 décembre par l’armée yéménite. L’incident s’est produit alors qu’ils voyageaient sous un niqab, dégui­sés en femme et munis d’armes et de ceintures explosives, à bord d’un bus en direction de la frontière saoudienne. L’armée a, en effet, accru sa vigilance suite à la vague d’attentats perpé­trés par AQPA sur le territoire yéménite.

L’organisation djihadiste sunnite, considérée par les Etats-Unis et les Nations-Unies comme l’un des groupes terroristes des plus dangereux de la région, est engagée depuis plusieurs années dans une guerre clandestine contre l’Etat yéménite, mais aussi contre les Houthistes, tribu chiite d’obédience zaydite qui s’est emparée de la capitale le 21 sep­tembre.

Marginalisées depuis la fin, en 1962, de l’imamat (royaume chiite) qui l’avait vu gou­verner le territoire délimité par l’ancienne République arabe du Yémen, ou « Yémen du Nord », depuis le IXe siècle, les tribus zaydites avaient entamé une rébellion en 2004. La révolte portait sur les inégalités de traitement politique et socioéconomique dont elles fai­saient l’objet, s’étant soldées par six guerres avec le régime de Ali Abdallah Saleh jusqu’aux accords de paix en 2010. L’éviction de celui-ci à l’occasion du Printemps yémé­nite de 2011 avait propulsé le parti Al-Islah, ennemi des Houthistes et franchise locale des Frères musulmans au sein de la grande coali­tion de gouvernement sous les ordres de Abd-Rabboh Mansour Hadi, ancien vice-président de Saleh et également membre de son parti, le Congrès général du peuple, élu début 2012.

Exclus une fois de plus de ce gouvernement de coalition, les Houthistes (du nom de leur ancien dirigeant Hussein Badreddin Al-Houthi) relancent la rébellion durant l’été 2014 en commençant par la province de Saada au nord du pays, leur fief géographique et historique. La conquête territoriale du pays, par sa faction armée, Ansaruallah (les parti­sans d’Allah), se fait jusqu’à atteindre Sanaa le 21 septembre. Des accords sont signés dans la foulée sous l’égide des Nations-Unies, ins­taurant un nouveau gouvernement dirigé par Khaled Bahah, jugé plus consensuel, et lais­sant enfin place aux Houthistes qui obtiennent ainsi plusieurs portefeuilles, afin d’apaiser les revendications communautaires.

Une « nouvelle révolution »

Toutefois, la lecture de ce conflit ne peut uniquement se faire à travers le prisme confes­sionnel. Bien que les zaydites représentent entre 30 et 40 % des 24 millions d’habitants du Yémen, la progression fulgurante de l’or­ganisation chiite sur le terrain et les multiples manifestations de soutien qu’elle a pu rencon­trer peuvent également trouver une explica­tion dans l’offre politique alternative qu’elle représente. Le mouvement houthiste, qu’il est difficile aujourd’hui de réduire au simple rang de rébellion car il fait désormais « partie de l’échiquier politique post-révolutionnaire yéménite », comme le déclarait, en octobre dernier, Hélène Thiollet, chercheuse au CERI, au micro de la radio France Culture, a su s’appuyer sur la déception engendrée par l’échec du gouvernement et de la politique de Hadi. En se revendiquant contre la hausse des prix du carburant annoncée par le gouverne­ment, mais aussi contre la baisse du pouvoir d’achat et contre la corruption, le mouvement chiite est parvenu à sortir du carcan commu­nautaire dans lequel il avait été cloîtré par Saleh tout au long de son règne, dans le but de le marginaliser. Le soutien qu’il reçoit n’émane pas seulement des populations chiites, mais bien d’une base élargie aux nom­breux déçus de la politique, entre autres éco­nomique, du pays depuis la destitution de Ali Abdallah Saleh.

Aussi, ses dirigeants préfèrent-ils le terme « nouvelle révolution » à « conquête » pour désigner cette expansion, se désignant de fait comme un mouvement révolutionnaire fédé­rateur à l’échelle du pays.

Suite à la prise de Sanaa, un dirigeant hou­thi déclarait : « La chute de Sanaa est la conséquence de la colère, du rejet de l’injus­tice, de la tyrannie, de l’exclusion et de la marginalisation d’une partie de la popula­tion ». Cette expansion s’est par ailleurs pour­suivie au sud de Sanaa. De violents heurts opposent encore les milices chiites à AQPA dans les provinces au centre du pays, en proie donc à une transformation en un chaotique champ de bataille.

Le Conseil de sécurité de l’Onu prenait, le 7 novembre dernier, sur initiative des Etats-Unis, une série de mesures contre Ali Abdallah Saleh et deux chefs houthis. Washington accusait entre autres Saleh, dans une lettre adressée aux Nations-Unies, d’aller « au-delà de la simple tentative de semer le chaos à travers le Yémen » et d’utiliser les Houthis pour « décrédibiliser le gouvernement, mais aussi pour créer un climat d’instabilité pro­pice à un coup d’Etat ». En effet, celui-ci est soupçonné, notamment par les islamistes d’Al-Islah, d’avoir aidé les factions houthistes à marcher sur Sanaa en demandant à l’armée, parmi laquelle il a encore de nombreux contacts, de ne pas s’opposer à la prise de la ville, encore aujourd’hui militairement occu­pée par les milices chiites. L’ombre de celui qui a dirigé une partie du Yémen, puis son intégralité après la réunification en 1990, pen­dant 33 ans plane encore sur cette guerre civile. Il indiquait le 24 novembre, à l’occa­sion d’une interview pour la chaîne égyp­tienne CBC Extra, n’avoir joué « aucun rôle », ajoutant : « Je ne suis pas contre les Houthis, car ils sont devenus une force poli­tique dans le pays » et appelant à « les impli­quer dans les instances du pouvoir ».

Des centaines de personnes manifestaient devant la résidence du président Hadi la semaine dernière à Sanaa, entonnant des slo­gans tels que : « Les Houthis et Al-Qaëda sont les mêmes. Hadi ! Trouve une solution ou quitte (le pouvoir) ! », rapporte l’AFP. Comme pour rappeler au président, qui doit également faire face à une recrudescence des velléités sécessionnistes au sud, qu’il est, malgré les ingérences étrangères et la multi­plication des lignes de front internes, toujours aux commandes du navire yéménite à la dérive .

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