Al-Ahram Hebdo : Vu le chaos politique et sécuritaire actuel, où va la Libye aujourd’hui ?
Omar Al-Kouiri : Ce qui se passe en Libye est une lutte pour le pouvoir entre ceux qui ont mené la révolution. C’est une lutte entre l’Etat et les milices, entre ceux qui ont fait la révolution et ceux qui « ont été faits » par la révolution. C’est aussi une lutte entre des forces régionales et internationales, mais avec des mains libyennes. Il existe aujourd’hui en Libye plus de 20 millions d’armes qui circulent. Une partie d’entre elles provient des entrepôts de Mouammar Kadhafi, une autre est entrée illégalement en Libye depuis la chute de Kadhafi.
Aujourd’hui, la Libye fait face au péril que représente le plus dangereux des groupes terroristes, à savoir les Frères musulmans. J’en profite pour mettre en garde le monde entier, notamment l’Europe, contre l’immigration clandestine que les Frères musulmans contrôlent et qui est une source de revenus importante pour eux.
— Alors qu’il existe deux gouvernements et deux Parlements, qui tient vraiment les rênes de la Libye aujourd’hui ?
— Il est clair qu’il s’agit d’une lutte entre les tenants de l’islam politique voulant instaurer un régime dénaturant le concept même de l’Etat et qui n’a rien à voir avec l’islam, et les forces patriotiques qui aspirent à mettre en place un Etat de droit, un Etat civil, un Etat basé sur des institutions avec un système clair de partage des pouvoirs. Le Parlement de Tripoli compte onze membres uniquement, et il est clair que le véritable gouvernement est celui qui siège à Bayda. Nous n’avons pas écarté un régime tyrannique pour en accepter un autre. Notre économie est paralysée, nos enfants ne vont plus à l’école. Nous avons impérativement besoin de reconstruire notre pays.
— Le Parlement libyen qui siège à Tobrouk a donné son aval à l’opération militaire menée par le général Khalifa Haftar dans l’est de la Libye. Que signifie cela ?
— Après la chute du régime de Kadhafi, nous nous sommes retrouvés avec deux forces parallèles sur le terrain : l’armée régulière issue des forces de Kadhafi et les milices armées. A cela s’est ajoutée une troisième composante : ceux qui, au nom de la révolution et des révolutionnaires, ont accumulé les armes et pratiqué la « daawa », la prédication, pour mettre en place un régime islamiste opposé à l’Etat. C’est cet état de fait qui a provoqué la situation actuelle : violences, assassinats, chaos.
Face à cette situation, un certain nombre d’officiers de l’armée, avec à leur tête le général Khalifa Haftar, ont lancé cette offensive. Haftar est un officier compétent qui a longtemps servi le pays. L’opération « Dignité » menée dans l’est de la Libye est une opération conjointe avec un plan militaire précis.
— Certains pointent du doigt une division de la Libye et estiment qu’une intervention étrangère est nécessaire. Qu’en pensez-vous ?
— Il ne faut pas craindre une division de la Libye. Les facteurs d’une éventuelle division sont inexistants à l’heure actuelle, tout simplement parce que les Libyens refusent catégoriquement cela. Pour ce qui est du rôle de la communauté internationale, il a été passif et inefficace depuis le début de la crise libyenne. Lorsqu’il y a eu une intervention étrangère, elle avait pour objectif d’aider les Libyens à mettre fin au chaos qui régnait à cause de la révolution. Or, cela ne s’est pas produit. J’ai d’ailleurs rencontré l’envoyé spécial de l’Onu sans que rien de concret se décide.
— Qu’en est-il du rôle des tribus dans la résolution du conflit ?
— En effet, les chefs de tribus ont un rôle très important. Ils peuvent aider à résoudre de nombreuses questions sans l’intervention de l’étranger. Aujourd’hui, nous devons être conscients que nous sommes tous partenaires dans ce pays, et que nous devons oeuvrer ensemble pour sa reconstruction.
— Il a beaucoup été question d’une médiation algérienne puis soudanaise. Qu’en est-il de ces initiatives : quelles sont les chances de les voir aboutir et quels rôles peuvent jouer les voisins de la Libye ?
— Les pays voisins de la Libye oeuvrent à aider le pays à sortir de la crise actuelle d’autant plus que ce qui se passe en Libye les affecte directement. Cela dit, jusqu’à ce jour, toutes les initiatives proposées restent en deçà des attentes des Libyens et n’ont pas dépassé le stade du discours politique.
— Certains ont pointé du doigt le rôle négatif du Qatar. De quoi s’agit-il exactement ?
— Nous n’allons pas nous taire face aux tentatives de déstabiliser le pays. La Libye est un Etat souverain qui ne permettra pas à certains acteurs externes de tirer les ficelles de ce qui s’y passe.
— Vous avez récemment déclaré que la Libye est devenue un foyer du terrorisme. N’est-ce pas un peu exagéré ?
— C’est malheureusement la vérité, sinon comment expliquer les démonstrations de forces menées par les milices armées ? Les villes de Derna, Sadrata, Syrte sont devenues des foyers du terrorisme. A cela s’ajoute Daech qui est lui aussi présent en Libye. Le monde arabe et le monde entier doivent être conscients de ce qui se passe en Syrie, en Iraq et en Libye. C’est aux armées arabes de combattre Daech en premier lieu .
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