Conscient du danger qui plane sur leur pays, la milice chiite
Ansaruallah et son principal rival sunnite, le parti
Al-Islah, ont eu cette semaine une rencontre sans précédent. Le chef d’
Ansaruallah, Abdelmalek Al-Houthi, a rencontré à Saada, son fief du nord du Yémen, une délégation d’
Al-Islah pour tenter de «
tourner la page du passé et de rétablir la confiance », a indiqué la milice chiite dans un communiqué. Les responsables d’
Al-Islah ont, de leur côté, annoncé qu’un projet d’accord était en négociation, un projet qui devrait désamorcer le risque d’un conflit confessionnel.
En effet, « pour parvenir à une désescalade au Yémen, les deux parties se sont rendu compte que la coexistence est le meilleur moyen de sauver le pays, parce que les conflits ne peuvent pas durer éternellement » explique Dr Eman Ragab, analyste au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram au Caire. Pourtant, selon les experts, cet accord est fragile et ne durera pour longtemps. Ces deux rivaux ont une liste de divergences et de différends qu’ils doivent d’abord régler et surmonter. « C’est, certes, un pas en avant, mais rien n’est encore joué. Tout reste à faire car les différends sont profonds et existent toujours. Et il est difficile de les régler en quelques jours et sans concessions présentées des deux rivaux », estime Dr Eman Ragab.
Le premier obstacle à surmonter est le partage du pouvoir. Selon la politologue, « avec leur avancée sur le terrain, les Houthis dominent désormais le pays. Ils sont à tous les postes occupés auparavant par les Frères musulmans. Mais ces derniers tiennent à maintenir une emprise sur le pays ». Ce qui signifie que la lutte pour le pouvoir est toujours là, entière. Ainsi, même si les deux parties parviennent à former un gouvernement de coalition, d’autres divergences risquent de naître. A commencer par le conflit sur les postes et les ministères-clés, qui risque de prendre des mois pour être régler. Il faudra donc que chacune des deux parties présente des concessions si la volonté de règlement est réelle.
A cela s’ajoutent d’autres acteurs, les partisans de l’actuel président, Abd-Rabo Mansour Hadi, et ceux de l’ancien président Ali Abdallah Saleh. Chacun d’eux maintient une certaine influence et a des partisans dans le pays. Chacun d’eux veut occuper une place sur la scène politique.
Concrètement parlant, Al-Islah, qui était la principale force politique grâce à ses alliances tribales, est en perte de vitesse depuis le départ, en février 2012, de son allié l’ancien président Ali Abdallah Saleh. Forcé au départ sous la pression de la rue mais resté influent, M. Saleh est considéré désormais comme un allié d’Ansaruallah mais actuellement, il est devenu aussi allié aux Houthis. « Saleh et ses partisans vont s’allier à n’importe quelle force pour protéger leurs intérêts », explique Dr Eman Ragab. Il est vrai que l’offensive chiite a rencontré des résistances de la part des tribus sunnites, proches d’Al-Islah, mais sous la pression de Ali Saleh et de ses partisans, ces tribus ont changé de position et soutiennent désormais les Houthis. Ces derniers ont déployé leurs groupes armés pour s’emparer des régions qui étaient souvent contrôlées par les Frères musulmans. A cet égard, les Houthis ont dominé ces régions et assuré leur sécurité et le rôle de la police et de l’armée a été marginalisé. « Les Houthis ne vont pas sacrifier tous ces acquis facilement ou les partager avec les Fréres musulmans », affirme l’analyste.
Autre point d’achoppement qui peut entraver la réconciliation : lutter contre Al-Qaëda et le terrorisme. Les liens avec les groupes terroristes surtout avec le réseau Al-Qaëda, bien implanté au Yémen, seront un vrai obstacle, les Houthis refusent leur existence sur la terre yéménite, surtout que le conflit, entre eux, n’est pas sur le pouvoir seulement mais aussi un conflit interconfenssionnel. « Les Frères musulmans ont des liens avec Al-Qaëda à cause des intérêts communs entre eux. Pour eux, les intérêts viennent en premier lieu. Alors, ils ne vont pas abandonner leur partenaire facilement », explique Dr Ragab. Pour sa part, Al-Qaëda va tout faire pour que cet accord ne tienne pas, car Al-Qaëda refuse tout lien avec les Houthis et l’idée même de leur domination du pouvoir. Pour exprimer leur refus de cette rencontre, des membres d’Al-Qaëda dans la région de Rada (centre) ont annoncé qu’ils avaient commis deux attaques armées dans lesquelles des dizaines de miliciens chiites ont été tués.
Yéménites à bout
A cela s’ajoutent d’autres obstacles. Les Yéménites sont à bout. Des centaines de manifestants ont défilé cette semaine dans le centre de Sanaa pour réclamer le retrait des miliciens chiites de la capitale et la remise de l’armement lourd, dont ces miliciens s’étaient emparés sur les sites de l’armée qu’ils ont conquis. Dans un communiqué, les protestataires ont affirmé qu’ils allaient poursuivre leur mouvement jusqu’à ce que l’Etat recouvre son autorité sur l’ensemble du territoire yéménite et récupère les armes et les équipements spoliés par les Houthis.
Sans oublier un autre front, celui des sudistes séparatistes. Une question qui revient sans cesse. Des dizaines de milliers de personnes se sont rassemblées, dimanche, à Aden pour réclamer une sécession du sud du Yémen, un Etat indépendant jusqu’en 1990. « En voyant les rencontres entre les Houthis et les Frères musulmans sans leur présence, les sudistes ont eu l’impression qu’ils étaient de plus en plus hors-jeu. C’est ce qui les a poussés à montrer leur détermination à aller jusqu’au bout de leur mouvement », explique Dr Ragab. Tout en ajoutant qu’ils revendiquent un partage du pouvoir ou au moins un partage juste des ressources du pays surtout des richesses qui se trouvent dans leur région. « Nous ne céderons pas jusqu’à la victoire, la libération et l’indépendance », affirment les sudistes dans un communiqué publié à l’occasion de la commémoration du 47e anniversaire de l’indépendance de l’ex-Yémen du Sud, qui témoigne « du refus du peuple du sud de tous les projets et initiatives qui empiètent sur son droit à l’indépendance », a annoncé un chef du mouvement sudiste, Hassen Baoum, dans le communiqué. M. Baoum, présent parmi les protestataires, a ajouté que la restauration de l’ancien Etat du Sud contribuerait à assurer la sécurité et la stabilité dans la région de la Péninsule arabique. Le mouvement sudiste, miné par ses divisions internes entre séparatistes et autonomistes, poursuit la mobilisation de ses partisans en mettant à profit l’affaiblissement de l’Etat .
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