Avant même la publication des résultats définitifs, la bataille s’est déjà engagée entre le président sortant, Moncef Marzouki, et le leader du parti Nidaa Tounès, vainqueur des législatives, Béji Caïd Essebsi.
Les deux hommes vont en effet très probablement s’affronter dans un second tour, fin décembre. C’est en tout cas ce qu’annoncent les équipes de campagnes des deux hommes. Essebsi a obtenu « pas très loin de 50 % » des suffrages, selon son directeur de campagne, Mohsen Marzouk, d’après qui un second tour est donc « probable ».
Des estimations aussitôt contestées par l’équipe de M. Marzouki qui, tout en confirmant la présence des deux rivaux au second tour, a fait état d’un écart beaucoup plus réduit, voire d’une avance du président sortant.
« Dans le pire des cas, nous sommes à égalité, et dans le meilleur des cas, nous avons 2 à 4% d’avance», a déclaré le directeur de campagne de M. Marzouki, Adnène Mancer. Des sondages réalisés à la sortie des bureaux de vote placent le chef de Nidaa Tounès largement en tête face à M. Marzouki, des données relayées par les médias tunisiens, malgré une interdiction de les publier.
De son côté, l’Instance chargée d’organiser les élections (ISIE), n’a, au moment où nous mettons sous presse, fourni que les chiffres de la participation: 64,6% des inscrits, hors circonscriptions à l’étranger: un taux inférieur à celui atteint lors des législatives.
Cette baisse a quelque peu inquiété la classe politique tunisienne, aussi bien que le désintérêt des jeunes, au centre du débat. En effet, ce sont les plus âgés qui ont voté en masse, selon les observateurs, alors que les jeunes qui ont mené la révolution de 2011 ont marqué peu d’intérêt aux élections.
Les experts avancent deux raisons à ce phénomène. Premièrement, la déception et la désillusion des jeunes 3 ans après une révolution qui, tout compte fait, ne leur a presque rien apporté. Deuxièmement, les jeunes n’auraient pas trouvé de candidat qui les représente, notamment en raison de la rivalité entre un candidat considéré comme un mentor de l’ancien régime, bien qu’il soit favori, à savoir Béji Caïd Essebsi, et un autre considéré comme proche des islamistes, à savoir le président sortant, Moncef Marzouki.
Scission
La bataille risque d’être serrée et de diviser davantage law Tunisie en deux blocs distincts: les « laïcs » et les islamistes. Cette bipolarisation de la vie politique en Tunisie est apparue dès les élections législatives d’octobre dernier. Mais une telle division serait lourde de conséquences.
Moncef Marzouki, devenu président fin 2011 à la faveur d’une alliance avec Ennahda, s’est posé tout au long de sa campagne comme le rempart contre l’ancien régime que représente, selon lui, M. Caïd Essebsi, 87 ans. Ce dernier a en effet servi sous le premier président tunisien Habib Bourguiba comme sous Zine El Abidine bin Ali, renversé par une révolution le 14 janvier 2011.
Le chef de l’Etat sortant, un militant des droits de l’Homme séculier exilé en France sous Bin Ali, estime avoir empêché le chaos en Tunisie par son alliance avec Ennahda, évitant ainsi une fracture du pays entre « laïcs » et islamistes.
De son côté, M. Caïd Essebsi a accusé son adversaire d’être le candidat des islamistes d’Ennahda et des « salafistes djihadistes ». Pour le second tour qui devrait avoir lieu fin décembre, « malheureusement, il va y avoir une coupure: les islamistes d’un côté et puis tous les démocrates et les non-islamistes de l’autre », a-t-il jugé sur la radio française RMC.
En fait, le seul rempart à la bipolarisation est la montée du Front populaire, dirigé par le candidat Hamma Hammami. Selon les sondages, cette figure de proue de la gauche est le troisième homme de la présidentielle. Ce dernier a jugé dimanche soir que son score était « un message positif », en indiquant que sa formation, le Front populaire, se réunirait pour étudier une éventuelle consigne de vote pour le second tour.
Jusqu’au dernier moment, le second tour serra serré. La position des autres candidats diffèrent, les uns appelant au boycott, les autres s’abstenant de donner une consigne de vote.
La scission qui existe actuellement en Tunisie place le parti islamiste Ennahda et ses partisans d’un côté, le reste de l’autre, même si Ennahda n’a pas présenté de candidat aux présidentielles, et qu’il n’a pas donné de consigne de vote à ses partisans. Selon les observateurs, si Ennahda a fait ce choix, c’est pour préparer son éventuel retour sur la scène politique tunisienne, notamment à travers une alliance avec Essebsi.
Ennahda : Retour possible mais sous condition
Nombreux sont ceux qui, en Tunisie, parlent déjà d’un retour éventuel d’Ennahda sur la scène politique. Or, un tel retour ne se ferait pas sans conditions.
Dores et déjà, le directeur de campagne de M. Marzouki, Adnène Mancer, a affirmé que Nidaa Tounès a demandé à Rached Ghanouchi, chef du parti islamiste Ennahda, de déclarer officiellement que son parti n’avait aucun lien avec l’organisation internationale des Frères musulmans. Il s’agit là d’une condition sine qua non pour une éventuelle participation d’Ennahda dans un gouvernement d’union nationale dirigé par Nidaa Tounès.
Mais il semble encore prématuré de parler d’un retour d’Ennahda. Selon Lazhar Akremi, dirigeant au sein du parti Nidaa Tounès, « pour le moment, il n’y a pas de négociations avec Ennahda à ce sujet ». Même son de cloche chez un autre dirigeant de Nidaa Tounès, Mahmoud bin Ramdane, selon lequel « les pourparlers pour la formation d’un nouveau gouvernement ne commenceront qu’après le second tour des présidentielles ».
Quoi qu’il en soit, Ennahda aura sa place au prochain Parlement. « Nous optons, dans l’avenir, pour une coexistence pacifique avec Ennahda, toujours avec la condition de se détacher complètement des Frères musulmans », a déclaré Abdelaziz Kotti, député de Nidaa Tounès au Parlement sortant. Selon ce dernier, les Tunisiens n’accepteront jamais d’avoir chez eux une branche des Frères musulmans, qu’elle soit représentée par Ennahda ou non.
De leur côté, les responsables d’Ennahda ont refusé de répondre à toute question, rappelant simplement que leur chef, Rached Ghannouchi, avait nié en 2011, tout lien de son parti avec l’organisation des Frères musulmans.
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