Le manifestations en Tunisie
Les yeux
du monde entier étant tournés vers la Syrie, l’Iraq et les frappes de la coalition contre Daech, l’actualité tunisienne (législatives le 26 octobre et présidentielles le 23 novembre prochain) semble avoir été quelque peu délaissée.
Pourtant, il s’agit d’un événement d’une grande importance. Le simple fait de tenir de telles élections, à l’heure où la région arabe souffre de maux dictatoriaux chroniques et est prise dans le tourbillon outrageux de Daëch, mettra l’expérience tunisienne sous un crible minutieux. Et un certain discours tend à considérer l’expérience tunisienne comme exclusive, comme l’a récemment décrite le chef du parti islamiste, Ennahda, Rached Al-Ghannouchi.
Cette distinction est, certes, justifiée par la hausse des taux d’éducation, la force de la société civile et le degré d’interaction avec l’Europe. Mais aussi par l’évolution de « l’islam politique » en Tunisie et de son aptitude à accepter la modernité et les concepts des droits de l’homme.
Or, l’évocation de l’exclusivité du cas tunisien nous rappelle ce qui était dit sur les régimes arabes et la transition démocratique. Comme si les Arabes étaient condamnés à vivre sous l’emprise de régimes tyranniques au nom du nationalisme, de la religion, ou des deux ensemble, ou de vivre en dehors de l’Histoire.
Des Arabes qui ne sont pas affectés par des changements radicaux ayant secoué les 5 continents avec les révolutions mondiales depuis l’ère industrielle jusqu’à la Toile. Ceux-là, même, qui ne sont pas concernés par les chutes de dictature et la propagation des démocraties à travers l’Afrique, l’Asie et l’Amérique latine tout au long du dernier quart du siècle dernier.
De par son emplacement géographique, la « petite » Tunisie est contrecarrée entre deux voisins gênants jouissant de richesses pétrolières : la Libye et l’Algérie. Le premier est en train de vivre le calvaire d’une longue guerre civile, avec deux gouvernements et des milices tribales et sectaires belligérantes. Le second, sorti des méandres d’une guerre civile avec les islamistes dans les années 1990, a un avenir imprévisible avec un président malade reconduit pour un quatrième mandat dans une société en déficience démocratique gouvernée par des généraux. Et les frontières entre la Tunisie et ces deux voisins peuvent être facilement transpercées par les groupuscules terroristes. Avec cette donne, les différents partis politiques tunisiens ne cessent de parler d’une coopération régionale de lutte contre le terrorisme. Mais ils parient, cette fois, non pas seulement sur la solution sécuritaire mais une plateforme de solutions économiques, politiques et culturelles non moins importantes.
Tels qu’exprimés dans leurs programmes électoraux, les rêves de l’élite politique tunisienne sont de voir la Tunisie, un centre régional et international au carrefour de l’Europe et l’Afrique. Cependant, il va sans dire que la stabilité politique est une condition sine qua non pour atteindre l’objectif visé.
Or, les islamistes radicaux, toutes tendances confondues, sont les premiers ennemis de la transition démocratique en Tunisie. Mais ils ne sont pas les seuls. Certaines forces régionales s’inquiètent d’un éventuel succès de « l’expérience tunisienne ». Car il est dans leur intérêt de préserver le statu quo actuel : menace terroriste versus oppression. Ce qui place Tunis en position délicate. En effet, les autorités de Tunis doivent faire preuve de bon sens dans leurs relations avec les régimes arabes pour préserver de bonnes relations.
Pour l’heure, il est difficile de prédire les résultats des prochaines élections, et par conséquent leur impact sur la région. Mais, vu que les partis islamistes sont de plus en plus discrédités, Ennahda ne risque pas d’être le favori du scrutin, comme en 2011, même si ses chances de participer à un gouvernement de coalition avec des partis laïques ne sont pas minces. Et une diminution du rôle des islamistes poussera sans doute Tunis à revoir et améliorer ses relations avec certains pays arabes comme l’Egypte.
Pour l’écrivain français, ami des Arabes, Alain Grech, ce qui se passe en Tunisie est une occasion pour un règlement historique entre les différentes forces politiques islamistes et laïques (qui s’inspireraient des règlements historiques qui ont eu lieu dans le Vieux Continent entre les forces de gauche et de droite, y compris les communistes, et les chrétiens-démocrates). Une occasion d’une grande importance, même si le poids régional de la Tunisie est relatif. Une occasion qui nous apprend surtout que la démocratie est difficile, mais possible .
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