Le problème kurde reste une épine dans le pied de la Turquie.
(Photo:AP)
La volte-face du président turc Recep Tayyip Erdogan, qui a finalement autorisé l’utilisation de ses bases aériennes pour frapper Daech, va-t-elle contribuer à apaiser la crise avec les Kurdes de Turquie ? Rien de moins sûr. Car si la crise a explosé une fois de plus depuis la semaine dernière, en raison de la situation à Kobané (voir page 9), le problème kurde reste le principal défi en Turquie depuis des décennies (45 000 morts).
Cette fois-ci, les Kurdes (victimes de discrimination depuis la fondation de la République turque en 1923) s’étaient soulevés pour dénoncer la position de la Turquie qui refusait d’aider militairement la ville frontalière syrienne kurde Kobané, assiégée par l’Etat Islamique (EI). Les manifestations ont été violentes : 31 morts, 360 blessés. Avec la volte-face d’Ankara, la situation s’est calmée sur le terrain. Mais le problème reste entier.
Car la Turquie doit jongler avec différentes données : la guerre civile en Syrie, l’expansion de Daech, le rôle des Kurdes dans la lutte anti-Daech et surtout le renforcement de leur poids dans la région, en raison de la conjoncture actuelle. « Le régime d’Ankara s’est montré prêt à tout pour en finir avec le régime d’Al-Assad, mais plutôt pour voir les Kurdes syriens anéantis par les djihadistes. En effet, les Kurdes syriens ont toujours constitué une grave menace pour Ankara, surtout après qu’ils eurent proclamé leur indépendance vis-à-vis du régime syrien en novembre 2013. Erdogan a peur que ces ambitions séparatistes ne contaminent les Kurdes turcs qui vont demander, à leur tour, leur indépendance ou, au moins, leur autonomie. Ce qu’il n’accepterait jamais. Il peut leur donner des droits culturels ou politiques, mais jamais l’autonomie », analyse Hicham Ahmad, professeur de sciences politiques à l’Université du Caire. En effet, depuis 2011, Erdogan, encore premier ministre, était conscient du danger que représentent les Kurdes syriens à ses frontières. C’est pourquoi il a tellement appelé à la création d’une zone tampon dans le nord de la Syrie pour empêcher toute possibilité d’émergence d’une région autonome kurde en Syrie.
Un processus de paix fragile
Sur le plan interne, donc, Erdogan a tout intérêt à ne pas torpiller un processus de paix engagé à l’arraché, entre le pouvoir turc et le PKK depuis deux ans. « J’ai mis en jeu ma propre peau dans le processus de paix. J’y ai mis mon esprit et mon coeur. Et je défendrai le processus de paix avec les Kurdes jusqu’au dernier souffle », a affirmé dimanche le chef turc, accusant les adversaires du processus de paix de se servir du prétexte de Kobané pour le faire dérailler.
En fait, la solution de la crise kurde a toujours hanté Erdogan : l’année dernière, alors qu’il était encore premier ministre, il a fait un pari risqué, en engageant des négociations de paix avec le « terroriste » kurde emprisonné Abdullah Ocalan. Un geste qui lui a valu tant de critiques de la part de l’opposition.
Désormais, le pouvoir turc doit penser à une solution radicale à cette crise cauchemardesque, surtout que la plupart de la diaspora kurde vit en Turquie : 12 et 15 millions (22 % de la population turque), alors que l’Iraq compte 4,5 millions et la Syrie en compte 3 millions seulement. Qui plus est, 130 000 Kurdes syriens ont fait un exode vers la Turquie ces dernières semaines pour fuir les frappes de Daech, de quoi aggraver la crise pour Erdogan qui voit le nombre des Kurdes se multiplier sur son sol. « Ces chiffres démontrent que le problème kurde est beaucoup plus compliqué pour Ankara que pour Damas et Bagdad. Bien plus, Ocalan est considéré comme le père spirituel des Kurdes du monde et le PKK a toujours soutenu les insurrections kurdes de par le monde. Si Erdogan ne réussit pas vite à contenir la colère de ses Kurdes, ceux de la Syrie et de l’Iraq pourraient s’infiltrer en Turquie pour soutenir militairement leurs confrères et lutter pour leur rêve éternel : l’indépendance dans le cadre d’un Kurdistan unifié », prévoit Ahmad. Dans ce cas, Erdogan serait alors cité dans l’Histoire comme celui qui a divisé son pays, deux mois après son accession au pouvoir, à l’instar d’un Gorbatchev jugé responsable par ses concitoyens de l’explosion de l’URSS.
Lors des jours à venir, Erdogan doit se poser une question cruciale : Vaut-il mieux avoir à ses frontières des Kurdes syriens et le régime d’Al-Assad, ou plutôt avoir affaire à une organisation terroriste comme Daech dont il sera la première victime ? Avec sa récente décision de permettre à la coalition internationale d’utiliser ses bases aériennes pour lancer des raids contre l’EI, Erdogan semble faire son choix. Du moins, pour le moment ... .
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