Après s’être défendu bec et ongles pour se maintenir au pouvoir, refusant tous les appels à son départ, l’ancien premier ministre iraqien, Nouri Al-Maliki, a été écarté du pouvoir. Alors que le pays est au bord de l’éclatement, le président iraqien, Fouad Massoum, a créé la surprise en nommant lundi dernier un nouveau premier ministre, Haïdar Al-Abadi. Une décision saluée par l’ensemble de la communauté internationale. En effet, avec l’accentuation de la crise politique en Iraq et l’avancée des troupes djihadistes de l’Etat Islamique (EI), le départ de M. Maliki était considéré comme la seule issue.
S’il réussit à former un gouvernement dans les 30 prochains jours, M. Abadi devra faire face à d’immenses défis. L’Iraq souffre de corruption à grande échelle, échoue à assurer des services de base comme l’eau et l’électricité, et est morcelé sur la base des appartenances religieuse et ethnique. Mais son plus grand défi sera de rétablir la sécurité face à des djihadistes qui contrôlent de larges zones de 5 provinces iraqiennes. Des centaines de personnes sont en outre tuées chaque mois dans des attaques.
Critiqué de toutes parts pour son autoritarisme, considéré comme partiellement responsable de l’émergence des djihadistes sunnites en raison de sa politique hostile aux sunnites, le très contesté Nouri Al-Maliki a finalement été lâché par ses alliés, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur : des figures influentes comme le dirigeant chiite Moqtada Sadr, ou encore le grand ayatollah Ali Al-Sistani, lui ont tourné le dos, tout comme ses deux principaux alliés étrangers, les Etats-Unis et l’Iran.
En effet, le président américain, Barack Obama, a mis tout son poids derrière le nouveau premier ministre iraqien, appelant fermement, mais sans jamais le nommer, M. Maliki à céder pacifiquement le pouvoir. Et, après avoir lâché ce dernier, Washington se tourne désormais vers le nouvel homme fort de l’Iraq, l’exhortant à « former un nouveau gouvernement dès que possible », condition d’un élargissement de leur aide politique, économique et militaire.
Le poids de Washington
Aussitôt après sa nomination, Haïdar Al-Abadi a reçu un appel téléphonique du vice-président américain, Joe Biden, pour le féliciter. Selon l’exécutif américain, les deux hommes ont convenu de « rester en contact régulier » durant le processus de formation du gouvernement, précise l’exécutif américain. Et c’est la Maison Blanche qui a indiqué l’intention de M. Abadi de « former un gouvernement large et ouvert, capable de contrer la menace de l’Etat islamique et de construire un avenir meilleur pour les Iraqiens de toutes les communautés ».
Plus tôt lundi, M. Biden avait appelé le président iraqien Fouad Massoum pour saluer l’« étape cruciale » que représente la nomination d’un nouveau premier ministre. Lors de cet appel, M. Biden a souligné la volonté de M. Obama de « renforcer la coordination avec un nouveau gouvernement iraqien et avec les forces de sécurité iraqiennes, pour contrer les avancées de l’Etat islamique ».
Par ce changement stratégique, Washington, qui intervient militairement en Iraq pour la première fois depuis son retrait, cherche à éviter une aggravation des divisions à Bagdad, alors que le pays semblait au bord de l’implosion et que la situation interne en Iraq représente un danger à l’ensemble de la région, notamment qu’elle est intrinsèquement liée à la crise syrienne.
Mais un simple changement à la tête du gouvernement n’est pas la baguette magique capable de guérir tous les maux de l’Iraq. Sans tendre la main aux sunnites et sans leur accorder une participation significative à la vie politique et au gouvernement, il sera extrêmement difficile de ramener sous un semblant de contrôle la violence affectant le pays. Car le confessionalisme est désormais bel et bien ancré dans la mentalité des Iraqiens. Promettant le pire, M. Maliki, qui a considéré la nomination de M. Abadi comme « une dangereuse violation » de la Constitution, a promis de « réparer l’erreur » et a déclaré à l’armée et aux forces de sécurité qu’ils étaient engagés dans une bataille sacrée contre les activistes sunnites .
De l’exil au poste de premier ministre
Haïdar Al-Abadi, nommé lundi premier ministre iraqien, est un ancien exilé siégeant depuis longtemps au Parlement et qui était considéré comme proche de son prédécesseur Nouri Al-Maliki jusqu’à sa nomination. M. Abadi était ministre des Communications au sein du gouvernement intérimaire mis en place après le renversement de Saddam Hussein en 2003. Il est membre du parti Dawa de M. Maliki. M. Abadi, né en 1952, a été élu au Parlement iraqien en 2006, où il a d’abord présidé la commission de l’Economie, de l’Investissement et de la Reconstruction, puis celle des Finances. Il a été élu vice-président du Parlement en juillet, avant d’être appelé à former un gouvernement. Tout comme Maliki et d’autres hommes politiques de haut rang, M. Abadi a passé des années en exil avant de rentrer en Iraq. Il a vécu en Grande-Bretagne, où il a décroché, en 1981, un doctorat en ingénierie électrique et électronique à l’Université de Manchester. Dans une biographie figurant sur son site Internet, il déclare que deux de ses frères ont été arrêtés par le régime du dictateur au début des années 1980 et exécutés pour leur appartenance au parti Dawa, opposé à Saddam Hussein .
Mobilisation internationale contre l’EI
Pour la première fois depuis leur retrait d’Iraq il y a près de trois ans, les Etats-Unis ont commencé, vendredi, à mener des frappes aériennes contre les positions des insurgés de l’EI. Selon le président américain, Barack Obama, ces frappes ont permis d’empêcher les djihadistes de se rapprocher d’Erbil, la capitale du Kurdistan iraqien, et donc de protéger les Américains qui s’y trouvent. Outre la protection du personnel américain, M. Obama a justifié l’intervention américaine par la nécessité d’empêcher un éventuel « génocide », mais il a prévenu que les frappes seraient limitées. Il n’a toutefois avancé aucun calendrier sur la durée des frappes, soulignant qu’il faudrait du temps pour que le gouvernement iraqien soit en mesure de faire face à la menace.
Le Pentagone a assuré de son côté qu’il ne comptait pas étendre ses frappes aériennes hors de la région du nord de l’Iraq. Parallèlement, le département d’Etat a annoncé la livraison d’armes aux forces kurdes (peshmergas). De même, le secrétaire d’Etat, John Kerry, a exclu tout envoi de troupes au sol. Côté européen, la livraison d’armes n’est pas exclue. Les chefs de la diplomatie française, Laurent Fabius, et italienne, Federica Mogherini, ont appelé à une réunion en urgence des ministres européens des Affaires étrangères pour parler de la livraison éventuelle d’armements aux Kurdes. L’Union européenne a dénoncé des « crimes contre l’humanité » dans les zones où progressent les djihadistes, évoquant des « persécutions et des violations des droits humains fondamentaux ». La prise par l’EI, il y a plus d’une semaine, de Sinjar, bastion des Yazidis, une minorité kurdophone non musulmane, a poussé à la fuite jusqu’à 200 000 civils, selon l’Onu. Parallèlement, près de 100 000 chrétiens ont été chassés des plaines de la province de Ninive, à l’ouest de Mossoul .
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