Selon les déclarations officielles, l’armée algérienne a simplement effectué des exercices militaires les 27 et 28 mai dernier. Des exercices au cours desquels « les capacités de combat face aux menaces aux frontières ont été mises à l’épreuve », d’après les termes du communiqué du ministère de la Défense. Le communiqué affirme également que les opérations ont mobilisé des unités de l’armée de terre algérienne, de l’aviation et des formations de la défense aérienne du territoire, et qu’elles interviennent après le déploiement de 5000 soldats supplémentaires dans cette zone, pour parer à toute infiltration de groupes djihadistes en provenance de Libye.
Leur médiatisation inhabituelle par le ministère de la Défense est un signe que la situation est tendue aux frontières, d’autant que la Libye s’enfonce chaque jour dans une crise politico-sécuritaire sans précédent, faisant de ce pays une base favorable à l’implantation de groupes djihadistes subsahariens et source d’instabilité pour la région. Même si Alger n’a pas reconnu explicitement que sa présence militaire est allée jusque dans les territoires libyens, la presse locale, et internationale, parle ouvertement d’une intervention de l’armée algérienne dans l’ouest libyen depuis le 29 mai.
Selon des sources militaires citées par le quotidien Al-Watan, « 3 500 paras, soit un régiment complet, et un groupe de soutien et d’appui logistique de 1500 hommes sont déployés actuellement de l’autre côté de la frontière ». Le journal francophone, dans son édition du 8 juin, cite aussi une source diplomatique qui fait état d’une « importante mobilisation des moyens aériens, avions de transport, chasseurs, bombardiers, hélicoptères de transport et d’attaque, appareils de reconnaissance et drones, qui opèrent dans le ciel libyen ».
Auparavant, le jour même du début de l’offensive, le quotidien britannique The Times donnait l’information, citant le think tank britannique, The Henry Jackson Society, dont un haut responsable annonçait un envoi de forces spéciales américaines, françaises et algériennes dans le Sud libyen avec pour principal objectif l’élimination des terroristes d’Al-Qaëda au Maghreb islamique (Aqmi), la destruction de leur infrastructure d’armement, de communication et d’entraînement dans la région.
Quels liens avec Haftar ?
La nouvelle vague de violence en Libye semble ainsi avoir incité le régime algérien à infléchir sa politique de non-ingérence. Une grande première. En effet, depuis l’indépendance de l’Algérie en 1962, l’intervention en Libye est la plus grande opération extérieure menée par les forces algériennes.
Déjà, lors du « Printemps libyen », Alger avait officiellement soutenu le régime de Kadhafi (tombé en octobre 2011 après une insurrection sanglante), pensant qu’il allait tenir bon. L’Algérie a même été une terre de refuge pour la famille de Mouammar Kadhafi, notamment de sa søur Aïcha, durant le soulèvement révolutionnaire. Après la chute de ce régime, les liens avec Tripoli sont devenus plus complexes. Et, depuis l’apparition du général Khalifa Haftar, qui mène depuis plusieurs semaines, avec l’appui de l’armée, une opération contre les milices islamistes dans l’est libyen, Alger semble s’être rangée du côté du général dissident. Lequel par ailleurs s’est dit favorable à l’intervention de l’armée algérienne afin de sécuriser les frontières.
Mais là aussi, les autorités maintiennent le flou: la semaine dernière, le porte-parole des Affaires étrangères a réagi aux informations de presse attribuées au chef de la diplomatie algérienne, Ramtane Lamamra, selon lesquelles Alger n’aurait pas de contacts avec le général libyen Khalifa Haftar. « Ramtane Lamamra n’a ni confirmé ni infirmé l’existence de contacts entre l’Algérie et le général libyen Khalifa Haftar », a indiqué Abdelaziz Benali Ch2rif. M. Lamamra « s’est contenté de nuancer que les Etats ont recours, selon les contextes, à des approches et à des procédés aussi différents que diversifiés pour recueillir l’information et interagir en cohérence avec leurs principes et leurs intérêts », a précisé Benali Chérif. Une déclaration qui ne fait que prouver l’embarras d’Alger .
Principales forces en présence en Libye
— Le Congrès Général National (CGN, Parlement) : Plus haute autorité politique et législative du pays, dominé par les islamistes.
— Le gouvernement: Victime des tiraillements politiques au Congrès, il se plaint de son manque de prérogatives, en particulier en matière de sécurité et défense.
— L’armée nationale: En cours de formation, elle ne fait pas le poids devant les milices d’ex-rebelles lourdement armées.
Dans la région de Benghazi (est) :
— L’Armée nationale libyenne: Une force paramilitaire formée récemment par le général à la retraite Khalifa Haftar, qui a lancé une opération armée contre des milices islamistes à Benghazi. Plusieurs officiers de la région orientale, y compris de l’armée de l’air, ont rejoint sa force.
— Les Forces spéciales: Unité d’élite de l’armée régulière libyenne régulièrement victime d’attaques attribuées à des groupes extrémistes, elle a officiellement gardé ses distances avec l’opération menée par M. Haftar.
— Brigades des martyrs du 17 février et Rafallah Al-Sahati: Deux puissantes milices islamistes qui dépendent « officieusement » du ministère de la Défense.
— La Brigade d’Ansar Al-Charia : Récemment classée organisation terroriste par Washington, Ansar Al-Charia a des filiales à Derna (est) et Syrte (centre).
— La Force de la Cyrénaïque: Formée par des partisans du fédéralisme qui réclament l’autonomie de la région orientale, elle comprend les gardes des installations pétrolières qui bloquent des ports pétroliers dans l’est du pays.
Dans la région de Tripoli :
— Les brigades de Zenten Al-Qaaqaa et Al-Sawaek : Elles contrôlent l’aéroport et plusieurs sites militaires. Hostiles aux islamistes, elles dépendent officieusement du ministère de la Défense, et ont revendiqué l’attaque du 18 mai contre le CGN, réclamant sa dissolution.
— La Cellule des opérations des révolutionnaires de Libye et Bouclier de Libye : Ces groupes sont composés de plusieurs milices islamistes considérées comme le bras armé des blocs islamistes du Congrès.
— Les milices de Misrata: Elles sont considérées comme faisant partie des plus puissantes et des plus armées du pays. Elles ont rejoint plusieurs autres forces, comme le Bouclier de Libye ou la Cellule des opérations des révolutionnaires de Libye, mais obéissent souvent à l’intérêt de leur ville. Contrairement aux Zentanis, elles défendent la « légitimité » du CGN .
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