Un front s’éteint, un autre s’éveille. Les Palestiniens n’ont pas eu le temps de se réjouir du cessez-le-feu à Gaza : à peine est-il entré en vigueur qu’Israël s’est tourné vers la Cisjordanie occupée. Lancée la semaine dernière, notamment contre le camp de réfugiés de Jénine, l’opération baptisée « Mur de fer » vise, selon le premier ministre israélien, Benyamin Netanyahu, à « éradiquer le terrorisme ». Elle se poursuit encore et « continuera le temps qu’il faudra », comme l’a dit l’armée israélienne, qui a étendu ses opérations à l’ensemble de la zone C. Aussi, l’armée israélienne a procédé à des évacuations forcées, portant à plus de 2 000, selon l’UNRWA, le nombre de familles contraintes de fuir depuis décembre. S’ils ne sont pas directement sommés de partir, les Palestiniens partent en raison de la destruction des « infrastructures essentielles comme les routes, le réseau électrique et les canalisations d’eau », comme le dit l’ONU.
Le choix du théâtre des opérations en dit long. Le camp de Jénine, où vivent près de 14 000 Palestiniens, est considéré comme l’un des hauts lieux de la résistance palestinienne. Or, la crainte est surtout que l’offensive ne s’élargisse à d’autres régions de la Cisjordanie, alors que l’offensive est doublée d’attaques menées par les colons israéliens contre plusieurs villes du territoire palestinien.
La violence israélienne n’est pas nouvelle. Mais cette fois, la dimension de cette offensive interpelle. Tout comme son timing — juste après la signature du cessez-le-feu à Gaza —, ainsi que la rhétorique utilisée par certains responsables israéliens.
Pour de nombreux observateurs, après cet accord, Benyamin Netanyahu ne veut pas perdre la face, il joue sa survie politique et entend à tout prix resserrer les liens avec l’extrême droite, qui était opposée à la trêve à Gaza. On soupçonne aussi que l’opération militaire en Cisjordanie résulterait aussi d’une entente avec la Maison Blanche : si Netanyahu a cédé à la pression de Donald Trump sur Gaza, il aurait obtenu en contrepartie un feu vert en Cisjordanie. D’ailleurs, dès le premier jour du mandat du président américain, les sanctions prises par son prédécesseur contre les colons violents ont été levées.
La question de la colonisation est en effet au centre des préoccupations. La semaine dernière, le ministre israélien de la Construction et du Logement a appelé un million de colons illégaux à s’installer en Cisjordanie occupée. Il a également demandé à Netanyahu à « l’occasion qui se présente actuellement pour étendre la construction de colonies en Cisjordanie ». D’ores et déjà, Israël prévoit, selon l’ONG La Paix maintenant, de construire plus de 2 700 nouvelles unités de colonisation en Cisjordanie dans les semaines à venir. Selon l’ONG, l’année 2025 pourrait être marquée par un « nombre record » d’unités de colonisation promues en Cisjordanie, avec une moyenne de 1 800 par mois. Aujourd’hui, près de 500 000 colons israéliens vivent en Cisjordanie, au milieu de 3 millions de Palestiniens, dans des colonies que l’ONU et le droit international jugent illégales.
Des colons multiplient leurs attaques contre les Palestiniens avec la bénédiction de l’armée israélienne. En effet, le Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU (OCHA) a affirmé que 2024 est l’année avec le plus grand nombre de cas de violences perpétrées par des colons israéliens sur des Palestiniens en Cisjordanie ou à Jérusalem-Est, avec une moyenne de quatre incidents par jour.
Jusqu’où ?
Autant d’éléments qui inquiètent au plus haut niveau. Car en toile de fond, se profile le projet d’annexion de la Cisjordanie. C’est la question qui se pose maintenant : l’extension très probable de l’offensive israélienne peut-elle mener à une annexion de la Cisjordanie par Israël ? Des membres du gouvernement israélien y pensent sérieusement. En novembre dernier déjà, le ministre israélien des Finances, le suprémaciste juif Bezalel Smotrich, estimait que 2025 serait l’année de la « souveraineté » israélienne de la Cisjordanie. Celui qui occupe la fonction de « gouverneur » du territoire occupé après avoir réussi à obtenir de Netanyahu la création d’un sous-ministère rattaché à la Défense, pour la gestion « des activités civiles » en Cisjordanie — un changement qui transforme l’ADN même de l’occupation et ses règles du jeu sur le terrain — déclarait alors : « Le moment est venu » et la victoire de Trump est un feu vert pour « établir la souveraineté israélienne en Judée-Samarie », le nom utilisé par les Israéliens pour parler de la Cisjordanie. Des propos condamnés à l’époque par l’Administration Biden, mais approuvés par l’ambassadeur nommé par Trump en Israël, Mike Huckabee, proche des milieux israéliens pro-colonisation.
Ce n’est un secret pour personne, encourager l’imposition du « droit du peuple juif » sur ce qu’il considère être « toute la terre d’Israël » a toujours été l’objectif numéro un du programme du gouvernement israélien. Et à l’heure qu’il est, c’est d’une annexion de facto de la Cisjordanie qu’on témoigne avec la hausse des terres saisies ou la refonte discrète, sous l’impulsion de Bezalel Smotrich et de la structure bureaucratique et administrative par laquelle Israël gère la Cisjordanie. Pour autant, une annexion en bonne et due forme serait, elle, lourde de conséquences, non seulement en termes de droits, mais pour ce qui est de l’avenir de la question palestinienne et de la paix dans la région.
Force est de constater que tout dépendra de la position de Donald Trump. Celui qui se vantait, au cours de son premier mandat présidentiel, qu’Israël « n’avait jamais eu de meilleur ami à la Maison Blanche », osera-t-il aller jusqu’au bout et permettre une annexion pure et simple de la Cisjordanie ? La réponse ne saura tarder. Mais à en croire les plus récentes de Trump, qui a évoqué cette semaine l’idée d’un plan visant à « nettoyer » la bande de Gaza en envoyant les Gazaouis en Egypte et en Jordanie pour obtenir la paix, l’avenir ne s’annonce pas rose pour les Palestiniens.
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