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Temps durs au Liban

Abir Taleb , (avec Agences) , Mercredi, 08 janvier 2025

C’est une crise multiforme que traverse le Liban. Dans un contexte régional des plus délicats, Beyrouth fait face à plusieurs défis : mettre fin à plus de deux ans de vacance présidentielle, gérer ses relations avec les nouvelles autorités syriennes et faire en sorte que le cessez-le-feu avec Israël tienne. Décryptage.

Temps durs au Liban

Tensions à la frontière avec la Syrie, doutes sur le respect du calendrier de retrait israélien fixé par l’accord de cessez-le-feu, incertitudes politiques en raison de la conjoncture régionale … A l’approche de la session parlementaire prévue le 9 janvier pour l’élection présidentielle, et alors que le pays du Cèdre est sans président depuis plus de deux ans et vit une multitude de maux, les Libanais ne savent plus où donner de la tête.

Le Liban, c’est un petit pays confiné, bordé par la Méditerranée à l’ouest, avec des frontières terrestres avec deux pays uniquement : Israël au sud et la Syrie au nord et à l’est. Mais aussi avec de nombreuses confessions, un système confessionnel à l’épreuve et des forces politiques souvent sous influence étrangère. De quoi le rendre particulièrement fragile et fortement tributaire de ce qui se passe autour de lui.

Il s’est vu impliqué dans la guerre israélienne contre Gaza depuis plus d’un an, puis s’est trouvé engagé dans une guerre que se sont livrés Israël et le Hezbollah avant qu’un cessez-le-feu ne soit conclu le 27 novembre dernier. Et alors que la situation est précaire à la frontière sud et qu’Israël tergiverse au sujet du retrait de ses troupes, celle avec la Syrie connaît elle aussi une certaine tension au moment où l’avenir des relations entre les deux pays, qui ont toujours été fortement enchevêtrées, suscite de nombreuses interrogations.

Beyrouth-Damas, des relations à repenser

En effet, les nouvelles autorités syriennes ont imposé des restrictions à l’entrée des Libanais par la frontière terrestre entre les deux pays et ce, après un accrochage armé à la frontière. Dans un communiqué, l’armée libanaise a annoncé qu’un de ses soldats avait été blessé par « des tirs d’hommes syriens » sur l’une de ses patrouilles qui était en train de « fermer un point de passage illégal » vendredi 3 janvier. Selon une source militaire libanaise, des hommes armés syriens ont été brièvement arrêtés par les autorités libanaises à la suite de cet accrochage. Un incident qui a suscité de vives préoccupations et qui était au centre des discussions lors d’un entretien téléphonique, le soir même, entre le premier ministre libanais, Najib Mikati, et Ahmed Al-Chareh, responsable de la nouvelle administration syrienne.

Mais cet accrochage n’est, tout compte fait, qu’un incident passager. Entre le Liban et la Syrie, c’est une toute autre histoire. Une histoire d’amour et de haine, de relations enchevêtrées et compliquées.

Al-Chareh a invité Mikati à se rendre en Syrie pour poursuivre les discussions sur les questions bilatérales et renforcer les relations entre les deux pays. Or, le Liban a longtemps été sous tutelle syrienne, et, pour nombre de Libanais, le changement de régime à Damas est l’occasion ou jamais de se débarrasser définitivement de l’ingérence syrienne. Pour rassurer son voisin, Al-Chareh a promis que son pays n’exercerait plus d’influence « négative » au Liban et respecterait la souveraineté de son voisin. Dans ce cadre, le ministre syrien des Affaires étrangères, Assaad Al-Shibani, a lui aussi fait plusieurs déclarations en faveur d’une coopération renforcée entre Damas et Beyrouth. « Le Liban et la Syrie partagent des intérêts historiques et géographiques qui nécessitent une approche commune pour garantir la sécurité et la prospérité des deux peuples », a-t-il dit. Des propos qui interviennent dans un contexte marqué par la nécessité de résoudre des différends persistants, notamment ceux liés aux frontières, au commerce transfrontalier et à la gestion des réfugiés syriens au Liban.

Le cessez-le-feu avec Israël à dure épreuve

Du côté de la frontière israélo-libanaise, la tension reste palpable et les violations de la trêve nombreuses. Leur chiffre varierait, selon les sources, entre 300 et 800 depuis l’accord de cessez-le-feu. Elles se poursuivent tous les jours bien que le ministère libanais des Affaires étrangères ait déposé le 24 décembre une plainte auprès du Conseil de sécurité de l’ONU, condamnant les violations répétées par Israël du cessez-le-feu et de la résolution 1701. Du point de vue israélien, l’armée libanaise n’inspire pas confiance. Et entre les deux parties, la Force intérimaire des Nations-Unies au Liban (FINUL) peine à maintenir l’ordre. Samedi 4 janvier, la FINUL a accusé les forces israéliennes d’avoir détruit l’une de ses installations et une infrastructure de l’armée libanaise dans le sud du Liban. Samedi également, Mirjana Spoljaric, la présidente du Comité International de la Croix-Rouge (CICR), a déclaré, lors d’une visite au Liban, que « les civils ne peuvent pas se permettre que le cessez-le-feu soit retardé, les plongeant dans de lourds combats qui entraîneront plus de morts et de destructions ». Une déclaration qui intervient alors qu’à trois semaines de l’expiration des 60 jours destinés à appliquer les points de cet accord, la radio israélienne a annoncé qu’Israël ne compte pas autoriser les habitants des villages libanais proches de la frontière à rentrer chez eux et compte informer Washington qu’il ne se retirera pas du Sud-Liban après le 27 janvier.

La situation risque donc de s’enflammer à nouveau d’autant plus que le secrétaire général du Hezbollah libanais, Naïm Qassem, a affirmé samedi 4 janvier que son mouvement était prêt à répondre. « Nous avons dit que nous allons patienter et donner une chance pour que les violations israéliennes cessent et pour mettre en oeuvre l’accord. Mais cela ne signifie pas que nous serons patients pendant 60 jours », a-t-il lancé.

Une présidentielle incertaine

Dans son discours, Qassem a également évoqué l’élection présidentielle, exprimant sa « détermination » à ce qu’un chef de l’Etat soit élu « lors de sessions consécutives ». Veut-il insinuer là que la session du 9 janvier ne sera pas suffisante ? Peut-être. Car au cours de la dizaine de séances tenues depuis la fin du mandat de Michel Aoun, le 30 octobre 2022, le tandem chiite et ses alliés se retiraient automatiquement de l’hémicycle après le premier tour, faisant échouer le vote. Or, la situation est aujourd’hui différente. Fortement affaibli après la guerre avec Israël et l’élimination d’un nombre important de ses commandants, dont l’ancien secrétaire général Hassan Nasrallah, le Hezbollah n’est plus ce qu’il était.

Quoi qu’il en soit, les concertations se multiplient à l’approche du 9 janvier, que ce soit entre Libanais ou avec des parties étrangères. Le chef du bloc parlementaire du Hezbollah, Mohammad Raad, a rendu visite samedi au président du Parlement libanais, Nabih Berry, pour discuter notamment de la présidentielle. La veille, ce dernier a assuré, selon le quotidien libanais Al Joumhouria, que cette séance comprendra des tours successifs et restera ouverte sans interruption jusqu’à l’élection d’un nouveau président. Un autre journal local, Nidaa Al Watan, affirme toutefois que les principales forces politiques peinent à trouver un accord en raison de la méfiance mutuelle et du manque de concessions. Parmi les noms qui circulent figurent ceux du chef de l’armée Joseph Aoun, considéré comme le favori, du chef des Forces Libanaises (FL), Samir Geagea, et du chef du parti Marada et ancien ministre de l’Intérieur, Sleiman Frangié, soutenu par le Hezbollah.

Des discussions se tiennent aussi avec des parties internationales. Outre les Etats- Unis, la France et l’Arabie saoudite sont fortement impliquées. Une délégation saoudienne, dirigée par le prince Yazid bin Farhane, superviseur de la commission saoudienne chargée du dossier libanais, est arrivée à Beyrouth vendredi soir pour tenir des réunions avec diverses forces politiques. Quelques jours auparavant, c’est Joseph Aoun qui était à Riyad. Ce dernier a également reçu à Beyrouth les ministres français des Armées et des Affaires étrangères, Sébastien Lecornu et Jean-Noël Barrot.

Des concertations tous azimuts et un engagement d’acteurs internationaux qui n’empêchent pas pour autant que l’issue de la séance du 9 janvier reste incertain.

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