Avant de passer dans le vif du sujet, les émissaires de la crise syrienne ont préféré lancer les négociations entre les deux parties sur des sujets où le compromis est plus facilement réalisable comme les problèmes des civils assiégés à Homs et des milliers de prisonniers et de disparus du conflit syrien. C’est en effet une manière classique pour reprendre langue.
« Lorsqu’il y a des conflits, les problèmes humanitaires concrets sont les plus aptes à être réglés car il est plus facile de trouver un terrain d’entente à ces sujets qu’aux questions les plus importantes. Parfois d’ailleurs, c’est là le seul gain qui sort des négociations entre les parties en conflit », explique Moatez Salama, analyste au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram au Caire.
Après un faux départ vendredi dernier, les délégations ont négocié dans un climat où, selon le médiateur de l’Onu, Lakhdar Brahimi, le « respect mutuel » a prévalu. Les négociateurs des deux camps ennemis ont eu des sessions de travail ensemble dans la même pièce, mais se parlant par Brahimi interposé. Avant, les négociations se déroulaient dans des salons séparés où le médiateur de l’Onu faisait la navette. Des phrases floues qui n’en disent pas grand-chose sur la réalité des choses.
En effet, jusque-là, toute la difficulté s’était centrée sur la possibilité même d’organiser Genève-2 et de réunir les deux parties sur une même table. Et, maintenant que c’est fait, tout le monde est un peu perdu. « C’est très difficile de mener des négociations lorsque chaque camp refuse l’autre. Les deux délégations rejettent jusqu’à l’existence de l’autre », explique Salama.
Pour le moment donc, on se contente des questions concrètes. L’émissaire spécial de l’Onu, Lakhdar Brahimi, a d’ores et déjà obtenu du régime la promesse de laisser les femmes et les enfants assiégés depuis des mois dans le centre de Homs quitter la ville. Mais l’annonce a été accueillie avec scepticisme dans les quartiers rebelles de Homs, où l’opposition réclame des « garanties » que les civils ne soient pas arrêtés par le régime en sortant de la ville. L’Onu espère également que des convois d’aide humanitaire rentrent dans les quartiers rebelles de Homs. Souvent considéré comme le foyer de la contestation, Homs a payé au prix fort son opposition à Bachar Al-Assad. Les quartiers rebelles sont assiégés depuis juin 2012 par l’armée régulière qui les bombarde régulièrement et des milliers de Syriens y vivent dans des conditions épouvantables, manquant de nourriture et de médicaments.
Dimanche dernier, les négociateurs se sont également penchés sur le problème des prisonniers et des disparus, un phénomène qui s’est amplifié depuis que le mouvement de contestation de mars 2011 s’est transformé en guerre civile sanglante faisant plus de 130 000 morts et des millions de réfugiés et de déplacés. L’opposition affirme posséder une liste de 47 000 personnes détenues dans les prisons du régime. Elle a présenté au cours des négociations une première liste avec les noms de 2 300 femmes et enfants. « S’il y a un échange, les femmes, les enfants et les plus vulnérables ont la priorité », a déclaré Monzer Aqbiq, porte-parole de la délégation de l’opposition.
A ce stade des négociations, rien ne permet donc de prédire si les pourparlers qui se tiennent à Genève pourront régler la crise syrienne. Les négociateurs du régime de Bachar Al-Assad et de l’opposition ont à peine commencé à s’attaquer au sujet le plus délicat : le gouvernement de transition. C’est depuis des mois la ligne rouge des négociations pour les deux délégations. Enoncé dans le communiqué final de Genève-I écrit par les Russes et les Américains en juin 2012, le principe de « l’organe de transition gouvernemental » divise partisans et opposants au président Assad. Il divise tout autant les Russes et les Iraniens, alliés du gouvernement syrien, des Occidentaux et des monarchies du Golfe, soutiens de l’opposition.
De son côté, l’opposition, qui lutte depuis mars 2011, considère que Genève-I est synonyme de gouvernement de transition et de départ d’Assad, au pouvoir depuis 2000. Le régime considère, lui, qu’il ouvre la voie à un gouvernement d’union élargi. Damas évacue la question du départ du président en indiquant qu’il reviendra aux Syriens de choisir leur président dans l’isoloir.
La guerre en chiffres
Les victimes
Selon le dernier bilan de l’Observatoire Syrien des Droits de l’Homme (OSDH, fin décembre 2013), le conflit a fait plus de 130 000 morts, en majorité des combattants. L’année 2013 a été la plus sanglante avec plus de 73 000 morts. La guerre a tué au moins 46 266 civils, dont plus de 7 000 enfants et de 4 600 femmes. Au moins 52 290 soldats et combattants pro-régime syriens et étrangers ont été tués, dont 262 membres du Hezbollah chiite libanais et 286 autres combattants chiites non Syriens. Les pertes au sein de l’armée s’élèvent à plus de 32 000 soldats, tandis que rebelles et djihadistes comptent 29 000 morts. Selon l’OSDH, au moins 17 000 personnes sont détenues dans les prisons du régime, tandis que 6 000 soldats et miliciens pro-régime sont entre les mains des groupes rebelles et djihadistes. Dans le même temps, au moins un demi-million de personnes ont été blessées, selon le Comité International de la Croix-Rouge (CICR).
Les réfugiés et les déplacés
« La moitié de la population, près de 9,3 millions de personnes, a besoin d’une aide humanitaire urgente, et près de la moitié sont des enfants », a déclaré mercredi le secrétaire général de l’Onu, Ban Ki-moon, et ce nombre pourrait atteindre 13,4 millions d’ici fin 2014. Le nombre de réfugiés enregistrés dans les pays voisins a été multiplié par quatre en un an, passant de 588 000 personnes fin 2012 à 2,4 millions fin 2013. Actuellement, le Liban accueille le plus grand nombre de réfugiés (905 000), suivi par la Jordanie (575 000), la Turquie (562 000), l’Iraq (216 000) et l’Egypte (145 000). Une partie d’entre eux vit dans des campements, parfois sauvages, dans des conditions particulièrement difficiles.
Les infrastructures
Selon Ki-moon, la situation a atteint un niveau « critique » : « 40 % des hôpitaux ont été détruits et 20 % d’autres ne fonctionnent pas convenablement ». Valérie Amos, coordinatrice des affaires humanitaires de l’Onu, qui a visité Damas début janvier, a indiqué que les destructions d’infrastructures avaient affecté les services de base, dont l’approvisionnement en eau, réduit de moitié. « Presque chaque Syrien est affecté par la crise, avec une chute de 45 % du PIB et une monnaie qui a perdu 80 % de sa valeur » .
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