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Après Gaza, le Liban ?

Abir Taleb , Mercredi, 26 juin 2024

Poursuite de la guerre à Gaza, poussée de fièvre entre le Hezbollah et Israël et tensions de façade entre Israël et les Etats-Unis au sujet de ces deux conflits. Telle est la situation dans la région où les risques d’un embrasement et d’une guerre totale planent sérieusement. Décryptage.

Après Gaza, le Liban ?
Les attaques lancées tant par le Hezbollah que par l’armée israélienne visent des cibles de plus en plus éloignées de la ligne du front. (Photo : AFP)

Tout au long de la semaine, alors que la tension est restée extrême à la frontière israélo-libanaise, l’armée israélienne a continué de pilonner la bande de Gaza. Pourtant, le premier ministre israélien, Benyamin Netanyahu, a déclaré, dans une interview à la chaîne israélienne Channel 14 dimanche 23 juin, que « la phase intense des combats contre le Hamas est sur le point de se terminer ». Il a cependant insisté sur le fait que « cela ne signifie pas que la guerre est sur le point de se terminer ». Netanyahu a également réitéré qu’il ne mettrait pas « fin à la guerre tant que nous n’aurons pas éliminé le Hamas et tant que nous n’aurons pas ramené les habitants du sud et du nord chez eux en toute sécurité ».

Alors que le premier ministre israélien faisait ces déclarations, son ministre de la Défense, Yoav Gallant, était aux Etats-Unis pour s’assurer du soutien américain en cas de guerre sur plusieurs fronts et ce, alors que l’hypothèse d’une guerre plus large avec le Hezbollah semble se préciser. La visite de Gallant intervient surtout dans un climat plutôt tendu entre Washington et Tel-Aviv, après que Netanyahu a publiquement critiqué l’Administration américaine, lui reprochant de « restreindre les livraisons d’armes à Israël ». Or, tout porte à croire que les différends entre Washington et Tel-Aviv sont plutôt entre deux personnes, Joe Biden et Benyamin Netanyahu. Mais certainement pas entre deux alliés inébranlables. Le soutien américain à Israël reste et restera sans équivoque. Et pour preuve, Washington a, certes, menacé l’Etat hébreu de suspendre ses livraisons d’armes, mais ne l’a jamais fait. Seule restriction pour le moment : le blocage d’une seule cargaison de bombes dévastatrices d’une tonne, en raison de leur utilisation par l’armée israélienne dans des zones densément peuplées à Gaza. Une goutte d’eau dans l’océan des armes livrées par les Etats-Unis à Israël.

Les dessous d’une visite

Selon les analystes, concernant Gaza, Gallant s’est rendu à Washington pour parler de la stratégie de son pays dans la période à venir, ce qu’Israël appelle la phase 3, c’est-à-dire le retrait des troupes au sol, mais la poursuite des opérations éclair et ciblées. Mais à Washington, lors des discussions entre Gallant et ses interlocuteurs américains, il a été aussi et surtout question de ce qu’Israël appelle le front nord. A ce sujet, le secrétaire d’Etat américain, Antony Blinken, « a souligné l’importance d’éviter une nouvelle escalade du conflit et de parvenir à une solution diplomatique permettant aux familles israéliennes et libanaises de rentrer chez elles », a indiqué le porte-parole du département d’Etat, Matthew Miller, dans un communiqué rendant compte de la réunion entre les deux hommes. Le chef de la diplomatie américaine a également « insisté » sur la nécessité pour Israël d’en faire plus pour l’acheminement de l’aide humanitaire dans la bande de Gaza assiégée, et il a évoqué « les efforts diplomatiques pour assurer la sécurité, la gouvernance et la reconstruction à Gaza » une fois le conflit achevé, selon le texte.

A part ces déclarations bateau, rien n’a été dit du contenu sans doute le plus important des discussions entre les deux parties. Qu’a dit Gallant à ses interlocuteurs américains sur les intentions israéliennes pour ce qui est des étapes à venir ? Les Américains ont-ils donné leur feu vert à une escalade avec le Hezbollah ? Tout porte à croire que oui, estiment les observateurs, au vu de la « timidité » des annonces de Blinken, qui a à peine appelé du bout des doigts à éviter l’escalade.

Paradoxalement, c’est avant d’embarquer à bord de son avion en direction de Washington que Gallant a fait les déclarations les plus significatives. « La relation avec les Etats-Unis est plus importante que jamais. Les rencontres organisées avec des responsables de premier plan du gouvernement seront critiques pour l’avenir de la guerre », a-t-il dit, précisant vouloir aborder « l’évolution de la situation sur les fronts nord et sud, à Gaza et au Liban ». « Nous sommes prêts à entreprendre toute action qui pourrait être nécessaire à Gaza, au Liban et ailleurs », a-t-il ajouté.

Guerre des nerfs

Car tous les regards sont désormais tournés vers la frontière israélo-libanaise. Les menaces d’une guerre ouverte, couronnées par l’annonce de l’approbation, par l’armée israélienne, de « plans opérationnels » pour une attaque d’envergure contre le Hezbollah, se traduisent par une nette escalade sur le terrain. En effet, les attaques lancées tant par le Hezbollah que par l’armée israélienne visent des cibles de plus en plus éloignées de la ligne du front avec une puissance supérieure à celle des premiers mois du conflit.

« Il y a une escalade, à la fois verbale et sur le terrain, une intensification par Israël des assassinats ciblés de leaders du Hezbollah ou de factions palestiniennes. En même temps, une intensification de la part du Hezbollah des attaques dans le nord d’Israël. Cette escalade fait dire que l’on s’approche d’une guerre totale, une opération militaire israélienne terrestre et aérienne plus grande au Liban », avertit Mona Soliman, professeure de sciences politiques, qui estime que « ce sont les différends au sein d’Israël qui ont poussé Netanyahu à augmenter la pression sur le Hezbollah ». Une façon de faire diversion, comme il fait toujours.

Selon elle, il est cependant difficile de savoir si ce sera une opération limitée qui vise à réduire les capacités du Hezbollah ou une opération de grande ampleur qui peut toucher la capitale libanaise Beyrouth. « Mais si une guerre éclate, elle risque d’être plus dangereuse que celle à Gaza », dit-elle. Autre question importante : Israël peut-il mener une guerre sur deux fronts ? Cela dépend notamment, selon l’analyste, de deux choses : l’évolution de la guerre à Gaza et la dimension du soutien américain à Israël. Deux questions qui ont sans doute été au coeur des discussions entre Gallant et les responsables américains.

Et pendant que la tension monte, le Hezbollah multiplie les sorties médiatiques : il a publié une vidéo montrant ce qu’il présente comme des sites en Israël avec leurs coordonnées, des images de Haïfa prises, selon le mouvement, par un drone qui a survolé ce port israélien. Et le chef du groupe, Hassan Nasrallah, a fait un discours la semaine dernière pour rappeler que son groupe comptait 100 000 combattants. Nasrallah s’est montré menaçant, avertissant qu’« aucun lieu » en Israël ne serait épargné par les missiles de son mouvement en cas d’attaque contre le Liban. Il a aussi menacé pour la première fois Chypre, pays membre de l’Union européenne le plus proche des côtes du Moyen-Orient, disant « détenir des informations selon lesquelles (...) Israël dit qu’il utiliserait les aéroports et bases chypriotes si le Hezbollah attaquait ses aéroports ».

C’est dans ce contexte que l’agence de presse américaine Associated Press a affirmé que des milliers de combattants issus de groupes soutenus par l’Iran au Moyen-Orient seraient prêts à se rendre au Liban pour rejoindre le Hezbollah. Et ce, si son conflit contre Israël se dégénère en une véritable guerre ouverte. Des informations que Nasrallah a déjà mentionnées dans un discours, indiquant que des dirigeants militants d’Iran, d’Iraq, de Syrie, du Yémen et d’autres pays avaient déjà proposé d’envoyer des dizaines de milliers de combattants pour aider le Hezbollah. Cependant, toutes ces factions, tout comme le Hezbollah, sont soutenues par l’Iran, qui a estimé que le Hezbollah a « la capacité à se défendre et à défendre le Liban contre Israël » et qui, selon Mona Soliman, est aujourd’hui davantage préoccupé par la situation interne après la mort du président Ebrahim Raïssi et par les élections du 28 juin. « Téhéran a laissé entendre qu’il pourrait faire pression sur le Hezbollah pour faire baisser les tensions si Washington faisait pression sur Israël », estime l’analyste. Et de conclure : « C’est là la seule issue possible, que des puissances régionales et internationales fassent pression sur les deux parties pour éviter l’escalade qui n’est, en fin de compte, dans l’intérêt de personne ».

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