La tension est montée d’un cran en Liban cette semaine. Mohamed Chatah, un dirigeant de la coalition sunnite libanaise qui soutient l’opposition au président syrien, Bachar Al-Assad, a été assassiné il y a quelques jours lors d’un attentat de grande ampleur qui a fait en tout 6 morts dans le centre de Beyrouth.
A peine l’attaque annoncée, la Syrie et son allié le Hezbollah ont été pointés du doigt. En première réaction, la coalition libanaise du 14 Mars, hostile au régime syrien, a mis en cause le pouvoir à Damas et son allié, le Hezbollah chiite, dans cet attentat qui a coûté la vie à l’un de ses membres.
« Le meurtrier est le même, celui qui est assoiffé de sang syrien comme de sang libanais de Beyrouth à Tripoli et dans l’ensemble du Liban, le meurtrier est le même, lui est ses alliés libanais, de Deraa, à Alep, à Damas, à toute la Syrie », a affirmé l’ex-premier ministre, Fouad Siniora, en lisant un communiqué de la coalition. Il faisait référence au régime de Bachar Al-Assad.
Mais le mouvement chiite libanais a nié toute implication dans l’attentat. Selon un député du Hezbollah, Ali Ammar, « l’attentat est une tentative répugnante de porter atteinte à la stabilité et à l’unité nationale, qui ne profite qu’aux ennemis du Liban ». A son tour, Damas a démenti toute implication, dénonçant des accusations arbitraires et sans discernement émanant de haines politiques.
Selon les analystes, les tensions déjà vives au Liban se sont accrues, au fur et à mesure que la Syrie, ancienne puissance tutélaire, s’est enfoncée dans un conflit devenu guerre civile. Le Liban tout entier est profondément divisé entre pro et anti-Damas, surtout depuis que le Hezbollah a admis en mai envoyer des combattants pour soutenir les troupes du régime syrien. Des sunnites libanais ont aussi traversé la frontière et pris les armes du côté des rebelles.
La guerre civile syrienne a des répercussions directes dans le Liban voisin, où affrontements meurtriers et attentats se sont multipliés ces dernières semaines. L’ambassade d’Iran, qui soutient à la fois le Hezbollah et le régime syrien, a été la cible d’un double attentat suicide à Beyrouth le mois dernier.
Des enquêtes sans résultats
Pourtant, les investigations ne permettent pas d’accuser l’une ou l’autre partie. « On ne peut pas être sûr et certain que le Hezbollah est derrière ces attentats. Depuis plus de 8 ans, on n’a jamais prouvé que Hezbollah était coupable ou que c’est lui qui a commis l’attentat contre Hariri. Il est vrai que ce parti tente de temps en temps de montrer sa puissance et ses capacités, mais il souffre aussi des conséquences de ces attaques. Chaque attentat alimente les divergences entre les camps rivaux au Liban. Les Libanais veulent exclure les chiites de la vie politique, alors ils rejettent toujours les responsabilités dans le camp chiite, accusant aussi Damas d’être derrière ces attentats », explique Ayman Abdel-Wahab, analyste au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram au Caire.
Damas et son allié le Hezbollah sont également accusés par la coalition du 14 Mars d’être derrière une série d’attentats qui a coûté la vie à 8 hommes politiques et journalistes hostiles au régime d’Assad de 2005 à 2012.
« Le meurtrier est le même, il vise les héros du Liban deux semaines avant le début (du procès) au Tribunal Spécial pour le Liban (TSL) » en charge d’identifier et de juger les assassins du dirigeant Rafic Hariri, tué en 2005, poursuit le communiqué de la coalition du 14 Mars. 5 membres du Hezbollah sont inculpés par le TSL, une instance internationale. Le parti chiite refuse de les remettre à la justice alors que le procès de 4 d’entre eux doit commencer le 16 janvier à Leidschendam, dans la banlieue de La Haye. La coalition du 14 Mars a réclamé que le dossier de l’assassinat de Chatah soit transféré au TSL, comme celui de Hariri et des autres personnalités libanaises assassinées depuis 2005.
Plus tôt, l’ex-premier ministre et fils de Rafic Hariri, Saad Hariri, avait aussi pointé du doigt la responsabilité du Hezbollah dans la mort de Chatah. « Pour nous, les accusés sont les mêmes qui se dérobent à la justice internationale, ceux qui refusent de comparaître devant le tribunal international. Ce sont ceux-là mêmes qui exposent le Liban et les Libanais au chaos et propagent l’incendie régional à la nation (libanaise) », a ajouté l’ex-premier ministre, en référence au Hezbollah, dont les combattants luttent contre les rebelles en Syrie aux côtés du régime de Damas, attisant un peu plus les flammes qui semblent s’emparer du Liban .
Assassinats en série
Peu connu avant sa mort, Mohamed Chatah, un proche conseiller de l’ancien premier ministre sunnite Saad Hariri, était également un adversaire résolu du mouvement chiite libanais du Hezbollah, allié du régime syrien. Il se rendait à une réunion lorsque son convoi a été la cible d’un attentat.
Moins d’une heure avant de mourir, Mohamed Chatah, qui était âgé de 62 ans, avait publié sur Twitter un message accusant le Hezbollah de chercher à prendre les commandes au Liban. « Le Hezbollah exerce une grosse pression pour disposer, en matière de sécurité et de politique étrangère, de pouvoirs similaires à ceux détenus par la Syrie au Liban pendant 15 ans », écrivait-il.
Mohamed Chatah est la 9e personnalité libanaise critique du régime de Damas et du Hezbollah à être assassinée depuis 2005. Il était considéré comme le représentant au Liban de Saad Hariri qui, pour des raisons de sécurité, n’y vit plus depuis 2011.
L’assassinat de Mohamed Chatah survient 3 semaines avant l’ouverture, longtemps différée, du procès par contumace à La Haye de 5 membres du Hezbollah soupçonnés de l’assassinat en février 2005 à Beyrouth, selon le même mode opératoire, du père de Saad Hariri.
Même si Mohamed Chatah n’était pas à la tête d’un courant politique, son expérience internationale, ses contacts diplomatiques et ses compétences universitaires en faisaient une personnalité très importante de l’entourage de Saad Hariri. Economiste et diplomate, il a été employé par le Fonds monétaire international à Washington et ambassadeur du Liban aux Etats-Unis. Il a en outre occupé le ministère libanais des Finances entre juillet 2008 et novembre 2009, puis a conseillé Saad Hariri en matière de politique étrangère .
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