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L’Iraq dans le chaos politique

Abir Taleb avec agences, Mardi, 31 décembre 2013

Le gouvernement iraqien s'est engagé dans une vaste campagne contre des insurgés sunnites jugés proches d'Al-Qaëda. Cette dernière accentue davantage la crise politique en Iraq exacerbée par les luttes et les violences confessionnelles.

L’Iraq dans le chaos politique
La grogne des sunnites n'est pas près de finir. (Photo:AP)

Fin 2012, l’Iraq était secoué par une crise politique et de vastes manifestations sunnites opposées au régime du premier ministre chiite, Nouri Al-Maliki. Ces manifestations réclamaient le départ de Maliki. Elles n’ont pas obtenu gain de cause et la crise a été étouffée par Maliki qui a depuis renforcé son pouvoir.

Un an après, pas de manifestations de masse, mais une crise latente qui n’en finit pas. Le gouvernement de Maliki a fini par opter pour la manière forte contre les sunnites qui s’opposent à lui. Lundi dernier, des policiers iraqiens démantelaient un campement de protestataires antigouvernementaux, qualifié par le premier ministre de « quartier général d’Al-Qaëda », sur la chaîne étatique Iraqiya.

Samedi dernier avait lieu une arrestation musclée d’un député sunnite du bloc Iraqiya, (mouvement laïque à dominante sunnite), Ahmad Al-Alouani, au prix d’un raid qui a coûté la vie à 6 personnes, dont le frère du parlementaire, dans la province d’Anbar.

La semaine précédente, l’armée iraqienne avait engagé une opération militaire contre des insurgés d’Anbar, au cours de laquelle une quinzaine de militaires, dont 5 officiers de haut rang, avaient trouvé la mort.

Ouvertement hostile à Maliki, Ahmad Al-Alouani est l’une des figures de proue du mouvement de manifestations organisé par les sunnites, minoritaires dans le pays mais qui s’estiment victimes de discriminations de la part des chiites. Il était connu pour avoir régulièrement apporté son soutien aux protestataires qui campent sur l’autoroute près de Ramadi pour dénoncer le gouvernement du chiite Nouri Al-Maliki.

Ce mouvement de protestation a éclaté l’année dernière après l’arrestation, pour des soupçons de terrorisme, de gardes du corps de Rafah Al-Issawi, un politicien sunnite influent, alors ministre des Finances. Ces arrestations avaient été considérées comme un exemple supplémentaire de l’abus par les autorités de l’arsenal juridique antiterroriste à l’encontre la minorité sunnite, qui s’estime marginalisée.

Suite à cette opération, le président du Parlement, le sunnite Ossama Al-Noujaïfi, a dénoncé cette arrestation, estimant qu’elle violait la Constitution iraqienne et l’immunité parlementaire d'Alouani. De son côté, le puissant chef chiite, Moqtada Al-Sadr, a appelé, lors d’une conférence de presse les forces de sécurité à ne pas adopter d’attitude sectaire.

Déviations sectaires

Mais l’attitude sectaire est bel et bien présente en Iraq. Les ripostes à cette campagne anti-sunnite ne se sont pas fait attendre : des attaques prenant principalement pour cible les forces de sécurité ont fait 16 morts en Iraq la semaine dernière.

L’influent dignitaire sunnite le cheikh Abdel-Malek Al-Saadi a jugé que cette opération militaire illustrait la « marginalisation et les abus » commis contre les sunnites par les autorités. Il a appelé dans un communiqué « les sunnites, les manifestants et les fils de Ramadi à insister sur leurs revendications ».

Des déclarations à hauts risques, tout comme la méthode musclée prônée et utilisée par Maliki, une méthode qui ne risque pas d’améliorer les choses. En effet, le 22 décembre dernier, Maliki avait affirmé à la télévision que le campement près de Ramadi était devenu un repaire d’Al-Qaëda. Il avait alors invité « ceux qui sont sur place (...) à quitter cet endroit et à y laisser Al-Qaëda seul », ajoutant sans plus de précision que les protestataires avaient « un délai très court » pour partir.

Il avait alors appelé les forces de sécurité à adopter une « attitude ferme pour mettre fin au Q.G. d’Al-Qaëda, qui est devenu un danger non seulement pour Anbar mais aussi pour tout l’Iraq ».

Par ces déclarations, Maliki entend assimiler une grande partie de sunnites opposés à sa politique à Al-Qaëda. Mais Al-Qaëda est bel et bien présent et actif en Iraq. Ses capacités d’actions se multiplient et la coordination de ses attaques se précise à mesure que le conflit en Syrie se pérennise. Il n’y a plus de frontières pour les djihadistes qui circulent désormais « librement ».

Effet boule de neige

L’Iraq est face à un cercle vicieux : la montée en puissance d’Al-Qaëda est bien la preuve que la radicalisation sunnite s’accroît. Or, cette radicalisation s’accroît justement parce que les sunnites se sentent exclus et discriminés depuis que les chiites ont pris, en 2003, les rênes du pouvoir.

Selon Amnesty International, depuis un an, des dizaines de milliers de manifestants sont descendus dans la rue, dans les régions où la majorité de la population est sunnite, pour protester contre les détentions arbitraires, les violations des droits des détenus et le recours à la législation antiterroriste, et pour réclamer la fin de ce qu’ils considèrent comme une discrimination du gouvernement envers la population sunnite. A cela s’ajoutent deux facteurs qui contribuent au chaos politique : l’absence, pour des raisons de santé, du président sunnite Jalal Talabani, potentiel médiateur à la crise, et les divisions au sein même du clan chiite où Maliki est de plus en plus contesté. D’où le risque de voir le premier ministre iraqien jouer de la violence confessionnelle pour sauver sa peau.

Importantes livraisons d'armes américaines en Iraq

Selon un membre de l’Administration américaine, les Etats-Unis ont récemment livré à l’Iraq 75 missiles air-sol Hellfire. Cette livraison a eu lieu plus tôt que prévu et doit être suivie de celle de dix drones de reconnaissance Scan Eagles. Ceci « entre dans le cadre d’affaires courantes que nous menons avec l’Iraq pour renforcer ses capacités à lutter contre cette menace », à savoir Al-Qaëda, a déclaré un membre du département d’Etat.

« Nous restons déterminés à soutenir le gouvernement iraqien afin qu’il dispose des moyens nécessaires pour faire face à ces défis », a-t-il ajouté. Les cibles visées sont les « camps d’insurgés », notamment ceux de l’Etat Islamique en Iraq et au Levant (EIIL), affilié à Al-Qaëda, dans le désert d’Al-Anbar, selon le New York Times.

Le département d’Etat a d’ailleurs récemment condamné les récentes attaques de l’EIIL et promis un appui américain à Bagdad. Selon le quotidien new-yorkais, « les services de renseignements et l’antiterrorisme américains assurent avoir repéré les positions du réseau Al-Qaëda en Iraq et partagent des informations avec les Iraqiens ». Le gouvernement américain a en outre fait savoir que le premier des 18 chasseurs F-16 promis à l’Iraq serait livré à l’automne prochain et que les autres suivraient dans les deux ans.

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