Al-Ahram Hebdo : Malgré la mise en place d’un cabinet de guerre après le déclenchement de la guerre contre Gaza, Israël est fortement divisé, notamment sur ce qu’on nomme le jour d’après. Quelles sont les causes de cette division ?
Ahmed Youssef : La division actuelle est, en fait, multidimensionnelle et résulte de la ténacité de la résistance. Il existe une division au sein de l’élite politique, autrement dit au sein du Conseil des ministres israéliens, une division entre le Conseil des ministres et l’institution militaire, et une autre entre le gouvernement israélien en général et l’opinion publique israélienne. La première est une division entre ceux qui soutiennent un accord menant à la libération des otages, même si cela mène à un cessez-le-feu, et ceux qui s’opposent au principe de faire des concessions, dont en tête Netanyahu et les ministres extrémistes Smotrich et Ben-Gvir. Il y a aussi la division absolue entre le gouvernement et l’opposition dirigée par Yaïr Lapid, qui réclame un changement de gouvernement, l’acceptation de l’accord d’otages et l’arrêt de la guerre. Et la division entre l’institution politique et celle militaire, représentée par une différence de points de vue sur la gestion de la bataille en cours. Les récentes déclarations sans précédent du ministre de la Défense, Gallant, qui critique l’approche de Netanyahu dans la gestion de la bataille, l’accusant de manque d’horizon politique, sont la meilleure preuve de cette division. La troisième division entre le gouvernement et l’opinion publique, notamment les familles des otages et l’opposition, est la moins dangereuse d’entre elles, car jusqu’à présent, les sondages montrent que l’opinion publique israélienne est toujours dominée par le ralliement au gouvernement israélien, la poursuite de la guerre et le fait d’atteindre les objectifs israéliens d’éliminer le Hamas et de récupérer les otages. En réalité, les divisions israéliennes sont aujourd’hui telles qu’elles affecteront sans doute le cours des événements dans la période à venir, à condition que la résistance continue, et jusqu’à présent, tous les signes indiquent sa détermination à se poursuivre.
— Dans quelle mesure cette division complique-t-elle les scénarios de fin de guerre ?
— Bien sûr, cette division complique le processus de conclusion d’un accord de paix. En effet, nous nous souvenons que lorsque la deuxième trêve était sur le point d’être conclue grâce à l’initiative égyptienne et à l’approbation du mouvement Hamas, deux ministres extrémistes ont explicitement menacé Netanyahu de faire tomber le gouvernement s’il accepte. Par conséquent, il est clair que les éléments extrémistes au sein du gouvernement israélien constituent un obstacle majeur à la conclusion d’un cessez-le-feu.
— Le ministère israélien de la Défense vient de publier un document qui démontre l’incapacité d’Israël à supporter le coût du rétablissement du régime militaire à Gaza. Comment trouvez-vous cela ?
— L’idée de restaurer le régime militaire à Gaza est un signe de la folie et de l’arrogance de Netanyahu, car nous nous souvenons qu’au début de l’opération du 7 octobre, il avait déclaré qu’Israël maintiendrait le contrôle militaire sur Gaza pour une période indéterminée, et depuis, il trébuche. Un jour, son ministre de la Défense a présenté l’idée de présence des forces des pays arabes à Gaza et sa tentative de persuader les tribus de Gaza de prendre le gouvernement ou l’administration à Gaza, mais elles ont également refusé. Cela s’ajoute à son refus d’intégrer l’Autorité palestinienne malgré sa modération. Il est vrai qu’Israël ne peut continuer à contrôler la bande de Gaza sans un horizon politique, qui consiste à s’en retirer et à laisser à son peuple le soin de décider qui le gouvernera à la lumière de toutes les garanties pour la sécurité d’Israël et la sécurité de Gaza et de toute la Palestine.
— L’intransigeance de Netanyahu et son insistance à poursuivre la guerre ne lui sont-elles pas, en fin de compte, nuisibles ?
— L’intransigeance de Netanyahu s’explique tout simplement par le fait qu’il sait que la fin de la guerre signifie sa propre fin politique. Il est protégé par son poste de premier ministre contre les affaires de corruption qui pèsent contre lui, pour lesquelles il sera jugé dès qu’il aura perdu son poste. A cela s’est ajoutée sa responsabilité dans l’attaque du 7 octobre. C’est pour cela qu’il veut désespérément poursuivre la guerre. Je crois que c’est la raison pour laquelle il ne réfléchit pas de manière équilibrée à un quelconque cadre politique ou à un plan politique de solution, car à mon avis, tout ce qui le préoccupe, c’est la façon dont la guerre va continuer. Même cette alternative deviendra difficile pour lui en raison de la ténacité de la résistance. Partant, l’alternative de continuer la guerre ne lui est peut-être pas disponible, il ne lui restera que l’échec.
— Comment trouvez-vous la position américaine et occidentale à ce sujet ?
— La position américaine est connue pour son parti pris absolu envers Israël. Ce que certains peuvent considérer comme une modération dans la position américaine ou un désir de parvenir à un règlement sont, en fait, des changements formels qui ne résistent à aucune épreuve pratique. C’est ce que déclare explicitement l’Administration américaine, à savoir qu’elle est d’accord avec Israël dans ses objectifs. Les transformations dans l’opinion publique mondiale ont atteint les Etats-Unis de l’intérieur et ont atteint leur apogée dans le mouvement de la jeunesse universitaire américaine. Par conséquent, l’Administration américaine a commencé à changer le ton de son discours politique. Elle a par exemple soutenu le principe égyptien de s’opposer au déplacement, a soutenu la solution à deux Etats et a demandé à Israël de réduire ses massacres de civils et a brandi la possibilité d’un arrêt de la fourniture d’armes à Israël. En revanche, les Etats-Unis ont utilisé leur veto à quatre reprises contre tout ce qui touche aux droits des Palestiniens ou à l’acceptation de la Palestine comme membre à l’ONU.
Quant à la position européenne, elle est différente parce qu’elle n’est pas la même chez tous les pays européens. Certains, comme l’Espagne, la Belgique et l’Irlande, sont plus « pro-palestiniens ». Et un certain nombre de pays européens envisagent de reconnaître l’Etat palestinien.
— 76 ans après la Nakba, les Palestiniens sont en train de vivre une nouvelle catastrophe. Une issue est-elle possible à la cause palestinienne ?
— La cause palestinienne est arrivée à un stade critique après 76 ans d’occupation israélienne de la Palestine. Après la Nakba de 1948 et la Naksa de juin 1967, la situation n’a cessé de se détériorer. Depuis lors, Israël cherche à étendre ses colonies dans les territoires palestiniens afin de mener à bien son projet sioniste qui repose principalement sur l’occupation de la terre, l’expulsion de sa population et la judaïsation, ou au moins en arrivant au modèle de 1948, dans lequel restait une minorité palestinienne, ne dépassant pas 20 % de la population. Malgré la mauvaise situation dans laquelle se trouve la cause palestinienne, le mouvement de résistance ne s’est pas calmé. Nous voyons la résistance, après avoir mené sa grande opération le 7 octobre 2023, tenir bon pour le huitième mois consécutif.
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