Deux initiatives distinctes ont été proposées à quelques jours d’intervalle. La première est égyptienne et vise à relancer les pourparlers en trois phases. Cela impliquerait des trêves successives, la libération de tous les détenus israéliens par le Hamas et des Palestiniens détenus dans les prisons israéliennes et enfin un cessez-le-feu de la guerre israélienne qui ravage Gaza depuis trois mois. Elle prévoit également l’établissement d’un gouvernement post-guerre à Gaza, marquant le retour de l’Autorité palestinienne. Cependant, cette dernière proposition a suscité des réserves et l’Egypte a affirmé que cette question était une affaire interne palestinienne. Or, certains responsables au Caire, qui ont précédemment facilité des réconciliations entre le Fatah et le Hamas, envisagent éventuellement de discuter de cette question, bien que ce ne soit pas imminent.
Une source égyptienne proche des négociations a qualifié d’« illogiques et d’impraticables » les discussions sur la formation d’un gouvernement de technocrates dans la Gaza d’après-guerre, soulignant cependant que l’initiative égyptienne présente une solution plus globale. « Cette perspective semble lointaine dans les circonstances actuelles », a ajouté la source selon laquelle Le Caire se concentre pour le moment sur l’obtention d’un cessez-le-feu global ou d’une trêve viable, sur la résolution des préoccupations humanitaires immédiates et sur l’échange de prisonniers. « Nous nous concentrons pour le moment sur la création de solutions réalisables », a déclaré la source. « La gouvernance de Gaza ou de la Cisjordanie après la guerre, ou la formation d’un gouvernement ne sont pas les problèmes les plus urgents à résoudre, mais ils seront néanmoins revisités ».
Il n’y a pas de plan détaillé, mais plutôt « une proposition-cadre » et des « lignes directrices principales » discutées par les parties négociatrices, a déclaré une autre source familière avec les pourparlers en cours.
Ce plan s’inscrit dans une approche claire de l’Egypte, comme l’illustre la première trêve conclue fin novembre. « Le Caire vise à établir des trêves successives et durables, favorisant la négociation d’une solution permanente, un échange de prisonniers et le maintien du terminal de Rafah ouvert pour faciliter une aide humanitaire maximale ». Cette démarche cherche également à faciliter le retour des Palestiniens déplacés du nord vers le sud, les réinstallant dans leurs régions d’origine au nord et dans le centre de Gaza, tout en allégeant la pression sur Rafah. « Du point de vue sécuritaire, l’objectif est aussi de contrer toute tentative de forcer les Palestiniens à chercher refuge dans le Sinaï », a expliqué une des sources.
La guerre de Gaza pose un problème de sécurité significatif pour l’Egypte. La menace imminente en provenance de la mer Rouge, associée aux attaques des Houthis contre les navires et aux plans israéliens manifestes visant à déplacer les Palestiniens vers le Sinaï, exaspère Le Caire. L’Egypte est davantage inquiète des déclarations du premier ministre israélien, Benyamin Netanyahu, selon lesquelles l’Etat hébreu devrait prendre le contrôle complet de l’axe de Philadelphie à la frontière entre l’Egypte et la bande de Gaza.
En plus, la perspective d’obtenir une résolution du Conseil de sécurité pour un cessez-le-feu semble complètement exclue. Les tentatives précédentes ont échoué à cause du veto américain et la dernière résolution proposée par le Groupe arabe à l’ONU a été diluée par les Etats-Unis. « Nous savons que Washington soutient pleinement Israël et les deux parties sont prêtes à prolonger cette guerre pendant plusieurs mois pour qu’Israël atteigne au moins un de ses objectifs annoncés, qu’il s’agisse de mettre fin à la capacité militaire du Hamas, d’éliminer des figures-clés du groupes ou de les contraindre à quitter Gaza », a partagé un diplomate arabe, contextualisant l’approche de l’Egypte dans ce cadre. « Il y a un consensus entre Israël, les Etats-Unis et l’Europe selon lequel l’opération du 7 octobre ne devrait pas se reproduire », explique-t-il.
Une stratégie égyptienne par étapes
L’approche égyptienne vise à naviguer dans cette « réalité très complexe » avec une « stratégie étape par étape ». Cela va à l’encontre de l’approche des factions palestiniennes à Gaza qui prônent une approche « tout pour tout ».
L’approche séquentielle de l’Egypte est plus pragmatique car les étapes inachevées empêchent la progression vers la suivante, rapporte une des deux sources.
Le Caire n’a reçu aucune réponse officielle des parties concernées mais plusieurs positions du côté du Hamas ont été exprimées, réaffirmant la position précédemment déclarée par le mouvement, « aucune négociation sur un accord avec Israël sans un cessez-le-feu complet et global ».
Selon un communiqué d’Izzat Al-Reshq, membre du bureau politique du Hamas, le groupe reste ferme contre le lancement de nouvelles négociations sans une « fin complète de l’agression ».
« Nous n’avons pas encore donné de réponse à la proposition de qui que ce soit », a déclaré Mahmoud Merdawi, un autre responsable du Hamas. Cependant, il a réitéré : « Notre position est claire et explicite pour les principaux médiateurs de l’Egypte et du Qatar : pas de négociations sur les prisonniers avant un cessez-le-feu complet ». Quant au Jihad islamique qui, tout comme le Hamas, était en Egypte pour des pourparlers avec les responsables sécuritaires, il a dit par la voix d’un de ses responsables, Mohamed Al-Hindi : « Nous sommes prêts à soutenir tout effort visant à mettre fin à l’agression contre le peuple palestinien avant de discuter de l’échange de prisonniers ».
Le plan prévoit une période initiale de cessez-le-feu de deux semaines. Pendant ce temps, les groupes de résistance palestiniens libèreraient de 40 à 50 captifs, y compris des femmes, des malades et des personnes âgées, en échange de la libération de 120 à 150 Palestiniens détenus dans les prisons israéliennes.
Le processus de négociation se poursuivrait pour prolonger davantage le cessez-le-feu et pour faciliter la libération de captifs supplémentaires et de corps détenus par les Palestiniens. Cependant, selon nos sources, aucun chiffre spécifique n’a été discuté. « Les détails et les chiffres exacts à ce sujet n’ont pas été délibérés. Le contour général suggère un ratio de libération de 10 Palestiniens pour un Israélien ».
Une approche qatarie légèrement différente
En parallèle, une autre initiative qatarie, s’appuyant sur l’initiative égyptienne, a surgi proposant la libération de détenus israéliens en échange d’une cessation des hostilités pour environ un mois, ainsi que la libération de Palestiniens condamnés à de longues peines. Hassan Asfour, ancien ministre de l’Information, estime que « l’initiative égyptienne est plus claire et plus durable mais le Hamas accorde la priorité au Qatar ». Ce dernier propose un cessez-le-feu durable en échange de l’assurance qu’une opération comme celle du 7 octobre ne se reproduira pas. « Il n’y a pas de contradiction entre les actions égyptiennes et celles qataries », affirme une des sources égyptiennes, précisant que la relation entre les deux parties durant cette crise est une « complémentarité et non une concurrence », explique une des sources. Ce que les Qataris suggèrent de plus est un cessez-le-feu durable en contrepartie de la garantie que l’opération du 7 octobre ne se reproduise pas. A ce jour, les demandes palestiniennes pour un cessez-le-feu permanent afin de reprendre les négociations n’ont pas été satisfaites mais des communications sont en cours avec toutes les parties, en particulier avec l’Egypte et le Qatar, a déclaré Merdawi.
Les positions des uns et des autres
Israël n’a pas encore répondu officiellement aux propositions égyptiennes et qataries. Certains médias israéliens affirment d’ailleurs que Netanyahu empêche tout accord possible pour prolonger la guerre autant que possible. Pourtant, l’Organisme de radiodiffusion israélien a rapporté samedi que le cabinet de guerre de Netanyahu a donné son feu vert au chef du Mossad, David Barnea, pour exécuter un échange de détenus avec le Hamas sur la base de l’initiative qatarie.
Selon un article de Barak Ravid, proche des cercles de sécurité israéliens, sur le site américain Axios, « les médiateurs qataris ont informé Israël de l’accord de principe du Hamas pour reprendre les pourparlers sur un nouvel accord visant à sécuriser la libération de plus de 40 Israéliens ». Il affirme que « les responsables israéliens traitent le message avec une extrême prudence et espèrent obtenir plus de clarifications d’ici la fin de la semaine pour savoir s’il y a réellement une sérieuse intention » de la part du mouvement palestinien.
De son côté, le journal israélien Haaretz rapporte qu’« il y a des discussions sérieuses pour essayer de surmonter l’impasse mais les progrès sont lents et aucun progrès majeur n’a encore été réalisé ». Citant un responsable israélien, le journal précise qu’« il sera possible de comprendre où va le mouvement dans les deux prochains jours, avant l’arrivée d’une délégation (du Hamas) en Egypte pour des discussions ».
Le Caire a en effet invité les factions de Gaza pour une nouvelle série de pourparlers après le 7 janvier. Cependant, les rapports sur une visite d’une délégation du Hamas au Caire le 29 décembre pour donner ses « observations » sur le plan égyptien se sont avérés infondés. Aucune délégation n’est arrivée au Caire.
En tout cas, l’Egypte a nié par la voix de Diaa Rashwan, chef de l’Organisme général de l’information égyptien, avoir proposé que la résistance abandonne le pouvoir dans la bande de Gaza en échange d’un cessez-le-feu permanent. Il a insisté sur le fait que l’avenir post-guerre devrait être décidé par les Palestiniens eux-mêmes.
« L’Autorité palestinienne doit être intégrée à la solution et il est crucial d’unifier l’administration de Gaza et de la Cisjordanie », estime toutefois une source égyptienne, ce qui signifie pratiquement que le Hamas sera hors-jeu, la source ne cache pas. « On essaye de leur expliquer que c’est dans leur intérêt. Lorsque ma vie est en jeu, c’est le choix le plus adéquat », ajoute-t-elle, ce qui pourrait reformuler cette solution sous la forme d’un gouvernement de réconciliation formé de technocrates. Cette description avait irrité cependant l’Autorité palestinienne elle-même.
Le comité exécutif de l’Organisation de libération de la Palestine a immédiatement rejeté un tel plan, déclarant former un comité de suivi. Abbas a promis un retour de l’Autorité palestinienne à Gaza, lors de sa première interview depuis le début de la guerre à la chaîne de télévision égyptienne ON. « Nous n’avons pas besoin de revenir, nous y sommes déjà », a déclaré Abbas. Exprimant sa déception face au « manque de suivi » du Hamas après les pourparlers de réconciliation à Alamein en Egypte fin juillet, Abbas a exprimé l’espoir d’un accord entre toutes les factions présentes aux discussions.
Mais Asfour est pessimiste et estime qu’il n’y aura ni futur dialogue ni rencontre entre le Hamas et le Fatah. Même si une telle rencontre a lieu, elle sera simplement formelle, alors qu’Israël exécute son plan d’exterminer les Palestiniens et de s’emparer de Gaza. « Plus de 21 000 personnes ont été tuées. C’est le plus grand nombre de victimes dans l’histoire du peuple palestinien en trois mois. Tout retard signifie davantage de morts ».
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