Jamais depuis le début de la guerre à Gaza, le spectre d’un élargissement du conflit n’a autant plané. Alors que l’on s’attendait plutôt à une escalade à la frontière israélo-libanaise entre le Hezbollah et l’armée israélienne, c’est vers la mer Rouge que tous les regards sont désormais tournés. Tout a commencé quand les Houthis ont multiplié leurs attaques contre les navires et tiré des drones et des missiles en direction d’Israël. Des attaques présentées comme des ripostes à la guerre israélienne contre Gaza. Les Houthis, qui règnent sur une grande partie du Yémen, ont déclaré qu’ils ne visaient que les navires se rendant dans les ports israéliens. Il n’empêche que leurs attaques ont vivement inquiété les leaders du transport maritime mondial : plusieurs géants d’entre eux ont annoncé cette semaine, l’un après l’autre, les interruptions du passage de leurs navires par ce passage commercial clé. Certaines jusqu’à nouvel ordre, d’autres pour une période donnée ou jusqu’à ce que le passage « soit sûr ».
Côté égyptien, la première réponse officielle est venue de l’Autorité du Canal de Suez, qui a déclaré dimanche 17 décembre qu’elle surveillait de près l’impact des tensions en mer Rouge. L’Autorité « suit de près les conséquences des tensions actuelles », a déclaré le président de l’instance, Osama Rabie, dans un communiqué. Le trafic maritime sur le canal est actuellement normal, a-t-il ajouté. Cependant, certains experts estiment que le risque est réel si la crise s’installe dans la durée. « Les répercussions seront d’autant plus importantes si la crise perdure. Et les revenus du Canal de Suez vont être affectés par la baisse du trafic en mer Rouge. Cependant, Oman tente aujourd’hui une médiation avec les Houthis pour mettre fin aux tensions », estime Mohamed Shadi, analyste économique.
En effet, Mohamed Abdel-Salam, porte-parole de la milice, a confirmé samedi 16 décembre que des discussions étaient en cours à Oman entre les Houthis et des acteurs « internationaux ». Toutefois, le porte-parole a insisté sur le fait qu’au cours des discussions menées sous médiation omanaise, la position houthie « n’est pas sujette à la négociation » tant qu’Israël n’aura pas « stoppé son agression » contre Gaza et n’aura pas autorisé l’entrée de l’aide humanitaire.
Mais la tension ne cesse de monter dans cette zone déjà hautement sensible. Lundi 18 décembre, les Houthis ont revendiqué une attaque contre un navire norvégien en mer Rouge. Cette semaine encore, le Commandement militaire américain au Moyen-Orient (Centcom) a annoncé qu’un destroyer américain opérant en mer Rouge avait abattu 14 drones lancés depuis des « zones du Yémen contrôlées par les Houthis » samedi 16 décembre. Le même jour, les Houthis ont affirmé avoir lancé une salve de drones équipés d’explosifs en direction de la ville israélienne d’Eilat, sur la mer Rouge. Ces dernières semaines déjà, plusieurs missiles et drones ont été abattus par des navires de guerre qui patrouillent dans la zone. Le destroyer américain USS Carney avait déjà abattu trois drones il y a environ deux semaines en portant assistance à des navires commerciaux en mer Rouge visés par des attaques depuis le Yémen. Le ministre de la Défense du Royaume-Uni, Grant Shapps, a également indiqué qu’un destroyer britannique avait abattu un « drone d’attaque présumé qui visait la marine marchande en mer Rouge » dans la nuit du vendredi 15 au samedi 16 décembre.
Une nouvelle « Task Force » ?
Si l’ampleur de la catastrophe humanitaire à Gaza peine à faire réagir la communauté internationale ou à la pousser à faire suffisamment pression sur Israël, la tension en mer Rouge, elle, ne reste pas sans réaction. Car c’est le commerce international et les intérêts de nombreux pays qui sont en jeu. Le secrétaire américain à la Défense, Lloyd Austin, est arrivé dans la région lundi 18 décembre. Outre ses discussions avec les Israéliens sur la guerre à Gaza, Austin doit aussi se rendre au Qatar et à Bahreïn, qui abrite la Ve flotte de la marine américaine et où les discussions devaient porter sur « les efforts des Etats-Unis pour réunir des coalitions multilatérales afin de répondre aux agressions en mer qui menacent l’économie du transport » maritime, a indiqué le Pentagone. Avant son arrivée, Austin a indiqué sur X s’être entretenu avec Grant Shapps sur la question, « un problème international dont il faut s’occuper ». Et, selon le conseiller américain à la sécurité nationale, Jake Sullivan, qui était en Israël vendredi 15 décembre, « les Etats-Unis travaillent avec la communauté internationale et leurs partenaires dans la région pour faire face à cette menace ». Washington envisage même de mettre en place une Task Force dédiée en mer Rouge pour assurer la liberté de navigation et pour escorter des navires marchands. Une coalition navale internationale (39 pays) existe depuis quelques années en mer Rouge et dans le golfe d’Aden, sous le nom de Combined Task Force 153, commandée par le vice-amiral de la Ve flotte américaine, basée à Bahreïn.
De son côté, la cheffe de la diplomatie française, Catherine Colonna, en visite en Israël dimanche 17 décembre, a déclaré que les attaques en mer Rouge « ne pouvaient rester sans réponse ». « Nous étudions plusieurs options » défensives « avec nos partenaires ».
Les autres calculs des Houthis
Mais une éventuelle nouvelle force risque d’exacerber les tensions. En réponse à ces affirmations, les Houthis ont promis d’attaquer ces forces et d’intensifier les attaques contre la navigation si Israël refuse de se retirer de Gaza. La milice a dit qu’elle n’était pas « effrayée » par les menaces américaines et qu’elle se préparait à lancer la « troisième phase » de ses attaques contre Israël, sans préciser quelle sera cette phase. Au cours de la première phase, les Houthis ont lancé des missiles et des drones contre Israël, tout en tentant de bloquer les navires exploités ou appartenant à des Israéliens. La deuxième phase devait cibler tous les navires se dirigeant vers Israël, quelle que soit leur nationalité.
En outre, Téhéran a d’ores et déjà fait savoir qu’une telle force serait confrontée à des « problèmes extraordinaires ». Le 14 décembre, le ministre iranien de la Défense, Mohammad-Reza Ashtiani, a menacé de prendre des mesures contre un projet de coalition navale dirigée par les Etats-Unis, affirmant que l’Iran avait le dessus dans la région. Ce qui n’a pas manqué d’attiser la colère du ministre yéménite de l’Information, Muammar Al-Eryani, qui a affirmé sur X que ces déclarations « confirment la validité de ce que nous avons mentionné à plusieurs reprises, à savoir que le régime iranien dirige, planifie, finance et arme le coup d’Etat de la milice terroriste houthie contre l’Etat yéménite ».
En effet, force est de constater qu’au-delà des principes de l’Axe de la résistance, dont font partie les Houhtis, et du soutien aux Palestiniens, les Houthis ont leurs propres objectifs : réaffirmer leur force à l’intérieur du Yémen, en proie à d’importants troubles depuis 2014, s’affirmer en tant que puissance régionale et « faire pression sur les Américains afin d’accélérer la conclusion d’un accord avec les Saoudiens », comme le dit Majid al-Madhaji, chercheur au Sanaa Center for Strategic Studies, interrogé par l’AFP.
Et alors que les uns et les autres s’efforcent à parvenir à leur fin, le risque est gros sur l’ensemble de la région. « Les Houthis ne vont pas s’arrêter là », prévoit Mohamed Shadi. « Les Israéliens non plus, puisque jusqu’à présent, ils n’ont accompli aucun succès majeur ».
Bab Al-Mandab, un détroit hautement stratégique
Si de nombreuses parties régionales et internationales s’inquiètent des attaques houthies et de leurs conséquences, c’est parce que la libre circulation en mer Rouge et dans le détroit de Bab Al-Mandab est vitale. Quelque 20 000 navires circulent chaque année sur cette route maritime. La particularité de Bab Al-Mandab réside dans sa connexion à la mer Rouge, au Golfe d’Aden, à la mer d’Arabie d’un côté, et à la mer Méditerranée de l’autre. C’est l’un des couloirs maritimes les plus empruntés au monde. 40 % du commerce maritime passent par le détroit. Bab Al-Mandab est le point de transit de plus de 6,2 millions de barils de pétrole brut et raffiné par jour, soit 9 % du pétrole échangé par voie maritime. Il constitue le 4e passage maritime mondial pour le transport des hydrocarbures. Selon la Chambre internationale de la marine marchande (International Chamber of Shipping, ICS), certaines compagnies ont déjà modifié leurs itinéraires, contournant l’Afrique par le Cap de Bonne-Espérance, parcours qui allonge la navigation d’une dizaine de jours, ce qui provoque des retards dans le commerce mondial et ajoute des coûts, puisque des centaines de tonnes de carburant de plus sont consommées.
Preuve de l’importance stratégique de cette région, elle est l’une des plus militarisées au monde. L’armée française est présentée à Djibouti avec 1 300 hommes. L’armée américaine a également ouvert une base militaire à Djibouti en 2002 avec 2 000 hommes. L’Italie, l’Espagne, le Japon ont également des contingents. En 2017, la Chine installe également une base navale dans le port de Djibouti. La nouvelle base chinoise peut abriter près de 10 000 hommes.
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