Un an de vacance présidentielle. Le 31 octobre 2022, le mandat du président libanais Michel Aoun prend fin. Depuis, douze sessions parlementaires destinées à élire un président se soldent par un échec. Les divisions politiques empêchent le consensus à tel point que le président du parlement, Nabih Berri, décide de ne plus convoquer de session destinée à élire un président. Plusieurs noms, des chrétiens maronites comme le veut la coutume, reviennent sans cesse. Parmi eux, Sleimane Frangié, ancien ministre soutenu par le Hezbollah pro-iranien et proche de Damas, Jihad Azour, ex-ministre des Finances (2005-2008) et haut-fonctionnaire du FMI, appuyé par les partis chrétiens, et Joseph Aoun, fils de l’ancien président et commandant en chef de l’armée libanaise. Sleimane Frangié, dont le grand-père a été président du Liban, promet d’être « le président de tous les Libanais », malgré son alliance avec le Hezbollah et l’amitié qui le lie depuis son enfance au président syrien Bachar Al-Assad. Le technocrate Jihad Azour promet, lui, de rapprocher le pays du Cèdre de ceux du Golfe, notamment dans une perspective de sortie de crise économique qui secoue le Liban depuis 2019.
Mais au Liban, l’élection du président ne dépend pas des programmes électoraux, mais des alliances politiques. Et le blocage est tel que depuis juin dernier, le parlement libanais, divisé, a cessé de tenir des séances pour élire un président. Car le même scénario se répète : les députés du Hezbollah et de ses alliés chiites quittent les séances et empêchent le quorum nécessaire à l’élection du président. Lors de la dernière élection présidentielle en 2016, les partisans du Hezbollah avaient ainsi paralysé l’action du parlement pendant plus de deux ans pour imposer l’élection de Michel Aoun, leur allié.
Impasse politique et crise économique
En effet, le Liban possède un système électoral particulier. Etat unitaire avec un régime parlementaire, il a un système de vote en bloc multipartite proportionnel. De plus, la Chambre des députés est répartie équitablement entre les principales confessions du pays. Ainsi, 64 députés représentent les musulmans et 64 députés sont de confession chrétienne maronite. L’élection du président du Liban est déterminée par un vote du deux tiers de l’Assemblée, parmi des candidats qui doivent être chrétiens maronites, de plus de 25 ans et d’origine libanaise.
Or, si le blocage persiste tout au long d’une année, le pire peut encore venir, prévient Dr Rabha Seif Allam, spécialiste des affaires libanaises au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram. « D’ici la fin de l’année, le mandat de plus de 90 % des postes-clés expirera », explique-t-elle. Le vide politique risque donc d’être encore plus grand. « Et la communauté internationale, notamment la France, a tenté à plusieurs reprises d’intervenir et d’exercer des pressions sur les différentes parties pour obtenir des compromis à même de faciliter un consensus, mais en vain », explique-t-elle.
A l’impasse politique s’ajoute une crise économique sans précédent. « Les salaires des fonctionnaires ne sont pas versés. Les pays donateurs hésitent à livrer leurs aides financières de crainte qu’elles ne tombent entre les mains du Hezbollah et de ses alliés », rappelle Allam. C’est justement la crise économique qui a poussé l’ancien premier ministre Saad Hariri à démissionner en octobre 2019, suite à des manifestations qui ont été de grande ampleur contre la stagnation de l’économie, le chômage, le confessionnalisme, la corruption et l’incapacité du gouvernement à fournir les services essentiels tels que l’eau, l’électricité et l’assainissement. Le gouvernement suivant, formé par Hassan Diab, ne parvient cependant pas à rétablir la situation économique et finit par chuter en août 2020 dans le contexte des explosions dans le port de Beyrouth, qui relancent le mouvement de protestation. A son arrivée le 10 septembre 2021 à la tête du gouvernement, Najib Mikati tente à son tour de résoudre cette crise. Mais la crise socioéconomique s’accentue en 2021, la Banque mondiale allant jusqu’à la qualifier de « l’une des trois pires crises économiques et financières que le monde ait connues depuis le milieu du XIXe siècle ».
Le spectre de la conjoncture régionale
Mais au-delà de cela, le Liban a toujours été tributaire de la conjoncture régionale. « Tout au long de l’histoire du Liban, toutes les élections présidentielles, sans exception, ont été marquées par des interférences étrangères », explique Allam. Et comme toujours, dit-elle, « sortir de l’impasse politique passe par l’Arabie saoudite et l’Iran, chacun ayant ses alliés au Liban. Une entente entre eux est nécessaire ».
Or, un an après la fin du mandat de Aoun, la situation se complique davantage avec les tensions au Sud-Liban, liées à la guerre à Gaza. Depuis qu’Israël a lancé son offensive contre la bande de Gaza en riposte aux attaques du Hamas le 7 octobre, la situation est extrêmement tendue à la frontière entre Israël et le Liban avec des tirs entre le Hezbollah et l’armée israélienne avec, en toile de fond, le risque d’un élargissement du conflit. Le Hezbollah a également annoncé que son chef s’était réuni avec des dirigeants du Hamas et du Jihad islamique pour évoquer les moyens de soutenir ces mouvements palestiniens.
Le risque est gros pour le Liban. Le premier ministre israélien, Benyamin Netanyahu, a mis en garde, le 22 octobre, le Hezbollah libanais contre la tentation d’ouvrir un deuxième front contre Israël, dont la riposte serait d’une ampleur « inimaginable » et sèmerait la « dévastation » au Liban. Le risque est d’autant plus grand en raison du vide à la tête de l’armée dès janvier prochain, date du départ à la retraite de Joseph Aoun.
« Le Hezbollah est certainement puissant, capable de frapper et de causer des pertes à Israël, mais il ne veut pas d’une guerre ouverte avec Israël. L’Iran, son principal soutien, non plus », estime Allam. Le seul espoir donc réside dans le fait que ni le Hezbollah ni Israël ne veulent de ce nouveau front. Un front qui peut tout de même exploser.
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