Dans un pays sans président depuis plusieurs mois, dirigé par un gouvernement intérimaire, en faillite et souffrant de tous les maux, un nom attire tous les regards et est sur toutes les bouches: Riad Salamé, le gouverneur de la Banque Du Liban (BDL, Banque Centrale). Quelques jours après que le dollar avait franchi le seuil de 100000 livres libanaises, mardi 14 mars, Salamé a dû répondre à de graves accusations devant plusieurs enquêteurs européens. Plusieurs enquêtes sont ouvertes, au Liban et en Europe. Et la justice libanaise a décidé de décaler sa propre procédure pour laisser travailler en priorité les juges européens: français, allemand, luxembourgeois. Tous se sont rendus à Beyrouth pour interroger Salamé, jeudi 16 et vendredi 17 mars. Blanchiment d’argent, escroquerie, recel, enrichissement illicite, autant de soupçons qui pèsent sur cet homme souvent présenté comme le plus puissant du Liban. Riad Salamé et son frère Raja, également convoqué, sont soupçonnés de mouvements de fonds illicites vers des paradis fiscaux, en Suisse, dans les îles Vierges: plus de 330 millions d’euros au total qui ont conduit à de gros investissements immobiliers à Paris, à Monaco, à Bruxelles, à Luxembourg, à Munich, à Hambourg.
Des accusations qu’il nie en bloc. Après avoir répondu à près de 300 questions, Salamé a distribué aux médias un document dans lequel il n’a pas mâché ses mots. « Des civils, des journalistes et des avocats qui se prennent pour des juges sont ainsi devenus des justiciers qui émettent des jugements sur base de faits qu’ils ont montés de toutes pièces », a dénoncé sans détour le gouverneur, avant d’ajouter : « Ils sont soutenus par certains politiciens à des fins populistes. Ils oublient que les nations ne peuvent pas être bâties sur des mensonges ». Riad Salamé faisait notamment allusion au Courant Patriotique Libre (CPL) créé par l’ex-président, Michel Aoun, et son gendre, et leurs alliés du Hezbollah chiite. Et il n’a pas manqué d’accuser certains hommes politiques de chercher, à travers la campagne menée à son encontre, à se protéger face à leurs échecs et à la crise actuelle.
S’agit-il donc de règlements de comptes politiques ou d’accusations fondées? Peu importe, seraient tentés de répondre les Libanais! Le pays est au fond du gouffre. Il suffit de se pencher sur quelques chiffres pour réaliser l’ampleur de la catastrophe: au marché noir, il faut désormais plus de 100000 livres pour un dollar, contre 35000 il y a six mois. Et jusqu’à récemment, le cours officiel c’était 1500, soit 60 fois moins. Le chômage atteint 30%, la pauvreté a doublé en deux ans, le taux d’inflation est de 330%, le plus élevé au monde. Et la crise n’est pas près de prendre fin. Les petits épargnants ont porté plainte devant la justice pour récupérer leurs économies bloquées dans les banques, ce que les banques refusent. Elles sont mêmes en grève illimitée depuis le 14 mars.
Vers un candidat de consensus ?
A cela s’ajoute l’impasse politique qui dure depuis des mois. Et pourtant, une toute petite lueur d’espoir pointe à l’horizon depuis le rétablissement des relations diplomatiques entre l’Iran et l’Arabie saoudite. En effet, alors que le Liban a toujours été tributaire des équilibres— ou des déséquilibres— régionaux, ces deux puissances régionales, qui se sont longtemps livré une guerre par procuration dans différents pays de la région, ont toujours eu leur mot à dire au pays du Cèdre. Pour de nombreux observateurs, ce rapprochement pourrait significativement influencer l’issue de l’élection présidentielle au Liban, alors que le pays est sans président depuis le 1er novembre dernier. Et depuis, 11 séances parlementaires électorales ont été organisées entre septembre et janvier, sans résultat.
Les politiciens libanais ont vite réagi à la réconciliation arabo-iranienne. Le premier à réagir était le chef du puissant Hezbollah chiite, allié de Téhéran. « Ce développement important pourrait ouvrir des horizons dans toute la région, ainsi qu’au Liban », a ainsi déclaré Hassan Nasrallah, assurant cependant que « l’Iran n’interfère pas dans les affaires de ses alliés et ne leur dicte pas leurs décisions ». Le président du parlement, Nabih Berry, qui est la plus importante figure politique chiite du pays, a parlé d’un « accord historique » et a plaidé pour « le renforcement des intérêts communs des peuples de la région ». Quant au chef du CPL, Gebran Bassil, il a estimé que cet accord entraînerait « une vague de stabilité qui englobera le Liban », tout en insistant sur le fait que les solutions aux problèmes du pays ne viendront pas de l’étranger.
Loin des déclarations officielles, les Libanais attendent presque avec impatience les résultats du rapprochement saoudo-iranien, notamment son impact sur la présidentielle. Une question prédomine depuis: cette entente ouvrira-t-elle devant Sleiman Frangié la voie vers Baabda ou, au contraire, poussera-t-elle ceux qui l’ont soutenu à lui trouver un remplaçant ? En effet, avant l’annonce de la réconciliation entre Téhéran et Riyad, le tandem chiite Amal-Hezbollah avait officialisé son soutien au leader chrétien du Liban-Nord Sleiman Frangié, connu pour sa proximité avec le régime syrien, mais qui ne bénéficie pas du soutien des principaux groupes chrétiens sur la scène locale, à savoir les Forces Libanaises (FL) et le CPL, ce dernier étant pourtant l’allié du Hezbollah. Le chef des FL a ainsi appelé la semaine dernière à élire « un président réel et pas un figurant ». Les FL, avec d’autres groupes de l’opposition, dont certains sont proches de l’Arabie saoudite, soutiennent le député de Zghorta et candidat officiel à la présidentielle, Michel Moawad.
Du côté du Hezbollah, on estime que le rapprochement saoudo-iranien serait au profit de Frangié. Mais le parti chiite entend tout de même montrer qu’il ne veut pas imposer son candidat. « Certains ont dit que nous voulons imposer un président au Liban et aux Libanais. Ce n’est pas le cas. Nous avons juste indiqué que nous soutenions une personne et que nous étions ouverts au dialogue. Nous ouvrons les portes et souhaitons que l’élection présidentielle suive son cours normal », a dit Nasrallah.
C’est dire que le compromis est loin d’être trouvé. Les retombées de la réconciliation saoudo-iranienne sur le dossier libanais ne risquent pas d’être palpables de sitôt. Et quand bien même ce serait le cas, cela signifierait tout simplement que le Liban ne risque pas de pouvoir être maître de son sort.
Lien court: