Le regard perdu d’un enfant syrien face à un soldat américain à Hasakeh, dans le nord-est de la Syrie, près de la frontière turque.
La guerre en Ukraine, ce n’est pas seulement des répercussions sur les relations Occident-Russie ou des retombées économiques mondiales. Le conflit jette son ombre aussi plus loin, en Syrie. Car en Syrie, deux pays jouent un rôle d’envergure: la Russie, aujourd’hui occupée par son offensive en Ukraine, et la Turquie, qui a plusieurs cartes en main, directement et indirectement, que ce soit dans les négociations entre Russes et Ukrainiens— on a vu les tentatives de médiation turque au début du conflit—, ou dans l’épineuse question de l’élargissement de l’Otan— on l’a vu avec l’opposition d’Ankara à l’adhésion de la Finlande et de la Suède—, ou plutôt le marchandage que les Turcs comptent faire à ce sujet.
C’est dans ce contexte qu’Ankara a annoncé, le 24 mai, une prochaine offensive dans le nord-est syrien. Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a affirmé que l’opération aurait pour but de terminer la création d’une zone de tampon de 30 km de large, le long de la frontière turco-syrienne, instaurée en octobre 2019. Selon lui, cette opération commencera dès que les forces militaires et de renseignement auront fini leur préparation. Mais il est difficile, pour l’heure, de connaître l’état de concrétisation de ce projet d’offensive. La zone visée est contrôlée par les Forces démocratiques syriennes, dont la direction est une émanation du PKK, le Parti des travailleurs du Kurdistan, ennemi d’Ankara.
Un contexte favorable ?
Le contexte pour une telle opération serait pourtant favorable. D’un côté, la Russie se concentre sur l’Ukraine. De l’autre, l’Otan a besoin de ménager la Turquie pour obtenir son accord pour l’adhésion de la Finlande et de la Suède.
Pour autant, l’affaire ne s’annonce pas facile. Les Etats-Unis ont pris les devants. Se déclarant « profondément préoccupés », ils ont mis en garde la Turquie contre tout lancement d’une nouvelle opération militaire dans le nord de la Syrie. « Nous condamnons toute escalade. Nous soutenons le maintien des lignes de cessez-le-feu actuelles », a martelé le porte-parole du département d’Etat américain, Ned Price. En guise de réponse, Erdogan a affirmé que son pays n’attendrait pas la « permission » des Etats-Unis pour lancer son offensive, selon des propos rapportés dimanche 29 mai par des médias turcs.
La Turquie a lancé 3 offensives en Syrie depuis 2016, avec pour objectif d’éliminer les combattants kurdes syriens des Unités de protection du peuple, YPG, soutenus par Washington après l’avoir aidé dans sa campagne menée contre Daech, mais considérés comme des « terroristes » par Ankara. La dernière remonte à octobre 2019, quand le président américain d’alors, Donald Trump, avait décidé le retrait des soldats américains. Face à un vif tollé jusque chez des alliés du président républicain, le vice-président, Mike Pence, s’était déplacé en Turquie et avait conclu un accord avec Erdogan pour une pause aux combats.
Par ailleurs, la Russie, bien que préoccupée par la guerre en Ukraine, verrait d’un mauvais oeil les intentions d’Ankara. Selon des sources citées par la chaîne satellitaire libanaise Al-Mayadeen, des renforts militaires russes ont été déployés dans le nord-est de la Syrie, « dans le cadre d’un plan russe visant à renforcer la présence militaire » dans cette zone. S’il est impossible de confirmer ces informations, on sait au moins que le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a affirmé le 26 mai que « Moscou continuera à soutenir les dirigeants syriens dans le rétablissement complet de l’intégrité territoriale du pays ».
Encore une fois donc, ce sont les calculs géopolitiques de tierces parties qui déterminent le sort de la Syrie.
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