La diaspora libanaise a voté vendredi 6 et dimanche 8 mai. (Photo : AFP)
15 mai 2022. Une date que tous les Libanais attendent. Les élections législatives se tiendront après deux ans d’insécurité, d’instabilité et d’une crise économique inédite. Un scrutin d’une importance cruciale vu le climat tendu au niveau national mais aussi régional. Le coup d’envoi des élections a été donné vendredi 6 mai avec le début du vote de la diaspora. Plus de 225000 Libanais résidant à l’étranger sont inscrits sur les listes électorales, une forte augmentation par rapport à 2018. Les candidats de l’opposition espèrent que la diaspora votera pour le changement de la classe politique. En 2018, seuls 6 % des électeurs à l’étranger avaient choisi des candidats indépendants. C’est la deuxième fois dans l’histoire du pays que les Libanais de l’étranger ont le droit de voter pour renouveler les 128 députés de la chambre.
Les sièges des députés sont attribués selon des quotas communautaires mais les listes des candidats, elles-mêmes, sont multiconfessionnelles. Les coalitions sont nombreuses à se réclamer du changement. Mais les formations dites alternatives, celles nées ou actives au cours du mouvement de manifestations de l’automne 2019, ne sont pas parvenues à présenter un front uni. Des désaccords idéologiques ont aussi empêché les rapprochements.
Mais le véritable enjeu de ces élections est l’absence de dirigeants sunnites connus. Après la nomination de Najib Mikati comme premier ministre, Saad Hariri, ex-premier ministre et un des chefs de gouvernement les plus influents au Liban, s’est retiré définitivement de la vie politique et a quitté le Liban. D’autres grands dirigeants sunnites ne sont pas candidats non plus, comme Fouad Siniora et Tammam Salam, eux aussi des anciens premiers ministres qui ont une certaine influence dans la classe politique libanaise. A son tour, l’actuel premier ministre, Najib Mikati, a aussi annoncé son retrait de la vie politique. Or, le chef du gouvernement doit être, comme le veut la tradition du partage des postes entre les communautés, un sunnite.
Un vide sunnite qui profite au Hezbollah
Ce vide politique dans le rang des sunnites va-t-il mener à un boycott des élections par la communauté sunnite ? Va-t-il profiter aux autres camps, notamment le Hezbollah, qui risque d’avoir plus d’influence sur les sunnites? Najib Mikati a appelé à « ne pas être complaisants et à voter en grand nombre ». Pas si sûr qu’ils répondent à l’appel. « Le Hezbollah a déjà financé, sans l’annoncer officiellement bien sûr, la campagne électorale de plusieurs candidats. Si ces candidats gagnent, leur loyauté sera pour le Hezbollah et le camp chiite dominera le parlement et par la suite le gouvernement », estime l’analyste Mona Soliman, professeure de sciences politiques à l’Université du Caire. Parallèlement, selon elle, le vide sunnite va peser sur le taux de participation des sunnites et va diviser les voix de cette communauté, ce qui affaiblira l’influence des sunnites dans la vie politique dans la période à venir.
Dans cette configuration, le rôle iranien est pointé du doigt. Un rôle à ne pas négliger. Via le Hezbollah, l’Iran pèse sur la vie politique libanaise. « Et ces élections tombent alors que les négociations sur le nucléaire entre l’Iran et l’Occident sont dans une phase très critique, celle des marchandages tacites », explique Dr Mona Soliman.
« Le poste de premier ministre devient de plus en plus un fardeau et sa mission est lourde et difficile à accomplir, et ce, à cause de plusieurs raisons. Le pays est presque en faillite mais les responsables libanais ont reporté cette annonce pour pouvoir tenir les élections. Cette annonce de faillite sera faite après le scrutin. Selon les analystes économiques, le gouverneur de la Banque du Liban, la Banque Centrale libanaise, a déjà déclaré que le Liban ne peut plus payer ses dettes », précise-t-elle. Et d’ajouter : « Autre raison, de nombreux différends opposent toujours les députés au gouvernement. Ce qui entrave les travaux des institutions de l’Etat et ce qui étouffe n’importe quel premier ministre et limite ses marges de manoeuvre. Aussi, le premier ministre est accusé souvent de corruption et d’être incapable de diriger le pays ».
Face à tant de difficultés, la communauté internationale reste les bras croisés depuis plusieurs années et ne fait pas grand-chose pour régler la crise. Si des aides financières sont promises, elles seront livrées directement aux ONG, pas au gouvernement, et sous une haute surveillance. « En même temps, la guerre en Ukraine a attiré toutes les attentions, au détriment des autres crises. Résultat: le gouvernement libanais ne sera soutenu ni par l’Occident ni par les Arabes », conclut Dr Mona Soliman.
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