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Dr Moatez Salama : « L’échec du Printemps arabe a largement joué au profit du régime syrien »

Maha Salem avec agences, Mardi, 27 août 2013

Dr Moatez Salama, politologue et spécialiste du dossier syrien au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram au Caire, écarte les risques d’une intervention occidentale imminente.

Al-Ahram Hebdo : On ne cesse de répéter que la ligne rouge a été franchie avec l’utilisation présumée d’armes chimiques. S’agit-il là d’une justification pour une éventuelle intervention armée ?

Dr Moatez Salama : La communauté internationale n’a pas besoin d’inventer un faux prétexte pour intervenir en Syrie. Si elle voulait y intervenir, elle l’aurait fait depuis longtemps. Mais, la réalité est que la communauté internationale utilise la carte des armes chimiques pour faire pression sur le régime syrien, surtout à l’approche des élections présidentielles syriennes prévues en 2014, le changement à la tête de l’Etat iranien et l’augmentation du nombre de morts et de réfugiés.

Cela dit, les restrictions qui entravent l’intervention occidentale en Syrie persistent toujours comme par exemple la faiblesse de l’opposition, les veto russe et chinois au Conseil de sécurité de l’Onu et le grand soutien affiché par ces deux pays au régime d’Al-Assad. Il ne faut pas oublier non plus le coût exorbitant de l’intervention occidentale en Iraq et en Afghanistan qui est assez dissuasif. Un facteur de poids est Israël. Pour le moment, au contraire, ce qui se passe en Syrie affaiblit Damas. A quoi bon donc y intervenir et risquer tant de pertes humaines et militaires ?

— Peut-on dire que le prolongement de la crise syrienne et les résultats controversés du Printemps arabe ont profité à Bachar Al-Assad ?

— Bien sûr, le prolongement de cette crise a mis en relief la puissance du régime d’Al-Assad et a renforcé sa position. En outre, elle a servi de bon prétexte aux pays qui le soutiennent, ce qui a lié les poings à la communauté internationale.

Aussi, « l’échec » du Printemps arabe et le recul des révolutions ont largement joué au profit du régime syrien et l’ont aidé à résister. Les révolutions n’ont fait qu’affaiblir les pays arabes, voire elles les ont détruits. Et puis, ces révolutions ont aussi donné l’impression que les nouveaux régimes ne diffèrent pas des anciens. Enfin, l’alternative islamiste a poussé les peuples arabes à aspirer à un nouveau système modéré qui joue entre la dictature et la démocratie, une zone de juste milieu.

— Est-il donc impossible d’aspirer au modèle démocratique ?

— Il faut savoir que les démocraties occidentales, telles qu’on les connaît, n’ont été possibles qu’après de longues luttes. Quand l’Occident utilise le terme démocratie avec les pays arabes, ce n’est qu’une sorte de chantage politique car tous les centres de recherches dans ces pays-là ont prouvé que l’expérience des révolutions arabes laisse toujours à désirer.

— Mais on pourrait s’en servir comme prétexte pour défendre le maintien d’Al-Assad au pouvoir …

— Le problème, que ce soit en Syrie ou ailleurs dans le monde arabe, c’est que l’islam politique s’est imposé aux peuples comme seule alternative. Or, ces mêmes peuples ont fini par comprendre que ce n’est qu’une copie conforme des anciens régimes despotiques. Or, nous avions besoin plutôt d’une application graduelle de la démocratie.

— Quels sont les points communs et les différences entre les cas égyptien et syrien ?

— Le régime syrien et l’ancien régime égyptien sont tous deux oppresseurs, despotes et tyranniques. Ils ne cherchent qu’à servir les intérêts de l’élite et du pouvoir en place. Le point de démarrage était le même dans les deux pays, un peuple qui revendique sa liberté. Mais ce qui a changé le cours des choses en Egypte c’est l’intervention de l’armée qui a sauvé le pays deux fois, elle a affronté les deux régimes de Hosni Moubarak et de Mohamad Morsi qui se ressemblent beaucoup.

Quant à la Syrie, le cas est différent car l’armée se donne pour rôle de défendre le régime et non la nation. L’élite s’est emparée de l’armée et 90 % de ses dirigeants sont alaouites. L’armée syrienne est devenue une armée ethnique.

— Depuis deux ans et demi, la situation ne cesse de se compliquer en Syrie. Quels sont les scénarios de l’avenir ?

— La situation en Syrie est très compliquée. L’Armée Syrienne Libre (ASL) ne peut pas gagner la guerre toute seule et ne possède ni les moyens, ni les capacités de l’armée d’Al-Assad qui est soutenue en plus de deux puissances, l’Iran et le Hezbollah. Mais, l’ASL ne peut pas faire volte-face maintenant. Elle doit être bien équipée, financée ; elle doit avoir plus d’aides. Mais en même temps, le spectre de la division plane, tout comme celui d’une instabilité qui s’éternise comme en Iraq.

Je pense que la faute incombe aussi bien au pouvoir qu’à l’opposition qui ont tous deux raté les chances d’arriver à un compromis. Al-Assad a fait la sourde oreille, et l’opposition est restée effritée et divisée non pas à cause d’idéologies différentes, mais plutôt à cause de la dépendance de chaque faction à un pays différent comme le Qatar, l’Arabie saoudite et la Turquie. Et tant que ces divisions persistent, Bachar Al-Assad restera le seul gagnant.

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