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Au Liban, le spectre des vieux demons

Abir Taleb avec agences, Mardi, 19 octobre 2021

Crainte d’un embrasement, fragilité politique et crise économique persistance : Le Liban commémore le 2e anniversaire du déclenchement de la révolte d’octobre dans un climat de désillusion. Décryptage.

Au Liban, le spectre des vieux démons
Morts, blessés, vitres brisées, impacts de balles, débris : les affrontements de jeudi dernier rappellent les sombres jours de la guerre civile. (Photo : AP)

17 octobre 2019. Au Liban, une révolte est déclenchée à cause d’une simple affaire de taxes. Pris de ferveur, des centaines de milliers de Libanais descendent dans les rues pour exprimer leur ras-le-bol face au « système », à la corruption et à l’oligarchie et à l’ensemble de la classe dirigeante. Ils fustigent même le sacro-saint confessionnalisme, ce système de partage qui régit la politique et toute la vie du pays. 17 octobre 2021, quelques centaines tout au plus ont manifesté pour commémorer cet anniversaire. La mobilisation n’était pas au rendez-vous. La désillusion a eu raison d’elle. Les crises cumulées en ces deux années n’ont plus laissé d’espoir aux Libanais, qui sont toujours sous le choc des événements du jeudi 14 octobre. Cette journée a ravivé les souvenirs de la guerre civile (1975-1991) : une manifestation a tourné au drame, avec, pour la première fois depuis des années, des affrontements entre musulmans et chrétiens, et sept morts. C’est le tandem chiite, le Hezbollah et le mouvement Amal, qui avait appelé à cette manifestation contre le juge d’instruction Tarek Bitar, chargé de l’enquête autour de l’explosion du port de Beyrouth, réactivant ainsi de vieux réflexes communautaires et une polarisation politique déjà ravivés par la crise économique. Il a affirmé que ses sympathisants qui manifestaient ont été la cible d’hommes armés postés sur les toits, accusant les Forces libanaises, une ancienne milice chrétienne. Celle-ci a démenti.

Le tout nouveau gouvernement paralysé

Les craintes de nouvelles tensions communautaires sont bel et bien là, même si la tension a baissé les jours suivants. Car le dossier de l’explosion du port de Beyrouth, survenue le 4 août 2020, reste extrêmement sensible dans un pays encore meurtri et plongé dans une crise économique et sociale majeure : selon un rapport de la Banque mondiale de juin dernier, la crise que traverse le pays du Cèdre « pourrait être classée parmi les dix, voire les trois crises mondiales les plus sévères depuis le milieu du XIXe siècle » (voir chiffres).

Plus que l’appel à des manifestations, les deux partis chiites ont suspendu leur participation au gouvernement, le paralysant de facto, et faisant planer des risques de guerre civile dans le pays. Ils réclament le désistement du juge Tarek Bitar avant de revenir au gouvernement. Impossible en raison de l’indépendance de la justice et de la séparation des pouvoirs, le pouvoir n’est pas en capacité de le faire. Leur position enlise cependant les tensions.

Or, par cette épreuve de force politico-judiciaire, le Hezbollah continue de mettre la pression sur le gouvernement et sur le pays. Surtout, il continue d’agir comme un Etat dans l’Etat. Au risque du pire.

Le calme est revenu dans les rues de Beyrouth après les affrontements du 14 octobre, fort heureusement. Mais la tension reste là. Palpable. Pesante. Terrifiante. Deux ans après le déclenchement du mouvement de contestation, les Libanais vivent leurs pires moments. Ils portent un timide espoir sur les législatives prévues en avril et mai 2022, qui pourraient permettre un renouvellement de la classe politique … à condition qu’elles se déroulent correctement, ce qui est loin d’être certain dans un pays au bord de l’implosion. Et cela laisse quoi qu’il advienne encore des longs mois de crise.

Aujourd’hui, la déception est à la hauteur des espérances. En deux ans, le Liban a certes changé, mais pour le pire.

Quelques chiffres révélateurs :

— L’économie s’est contractée de 6,7 % en 2019 et de 20,3 % en 2020. Elle devrait se contracter de 9,5 % cette année, selon les prévisions.

— Le PIB est passé de près de 55 milliards de dollars en 2018 à environ 33 milliards de dollars en 2020, tandis que le PIB par habitant reculait de 40 %.

— Le taux de change a connu une dépréciation de l’ordre de 129 % en 2020.

— L’inflation a atteint 84,3 % en 2020.

— Le taux de pauvreté est passé de 42 % en 2019 à 82 % en 2021.

Deux années de crise

2019 : L’étincelle

17 octobre : Déclenchement d’un large mouvement de contestation contre la classe politique dirigeante suite à l’annonce de nouvelles taxes.

22 octobre : Le premier ministre, Saad Hariri, annonce une série de réformes. Ses annonces ne convainquent pas, les manifestations s’étendent avec des appels à la formation d’un gouvernement de technocrates.

29 octobre : Hariri démissionne sous la pression de la rue.

19 décembre : Hassane Diab succède à Hariri. Mais les tensions se poursuivent.

2020 : La crise envenimée par le coronavirus et l’explosion du port

Janvier : Nouvelles manifestations.

Mars : Endetté à hauteur de 81 milliards d’euros, le Liban se déclare en défaut de paiement. Interruption des manifestations à cause de la pandémie du Covid-19.

4 août : Une double explosion dans le port de Beyrouth fait 214 morts et plus de 6 500 blessés.

10 août : Diab démissionne.

31 août : Nomination de Moustapha Adib au poste de premier ministre.

26 septembre : Adib jette l’éponge en raison des dissensions entre les partis politiques concernant l’attribution des ministères.

22 octobre : Hariri est à nouveau nommé premier ministre

2021 : Enfin un gouvernement, mais …

Juillet : Le 15, Hariri jette l’éponge à son tour faute d’avoir réussi à former un gouvernement à cause de dissensions avec le président Aoun. Le 26, Najib Mikati est désigné.

Septembre : Un gouvernement est enfin formé après 13 mois d’impasse.

14 octobre : 7 morts et 50 blessés dans des affrontements entre chiites et chrétiens suite à une manifestation à l’appel des forces chiites contre le juge chargé du procès de l’explosion du port.

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