L’annonce du nouveau gouvernement a été faite vendredi 10 septembre à l’issue d’une rencontre entre le président libanais, Michel Aoun, et le premier ministre désigné, Najib Mikati. (Photo : AFP)
Il aura fallu 13 mois d’attentes et de tractations politiques acharnées, deux premiers ministres désignés qui ont jeté l’éponge, doublés du désespoir de la population et d’une crise économique aigüe, le Liban se dote enfin d’un gouvernement. L’annonce a été faite vendredi 10 septembre à l’issue d’une rencontre entre le président libanais, Michel Aoun, et le premier ministre désigné, Najib Mikati. Les deux hommes ont signé le décret pour former le nouveau cabinet, composé de 24 ministres technocrates, en présence du chef du parlement, Nabih Berri. La nouvelle équipe comporte plusieurs nouveaux visages et une seule femme. Parmi eux figurent des technocrates comme Firas Abiad, directeur de l’hôpital gouvernemental, Rafic Hariri, fer de lance de la lutte anti-Covid, Youssef Khalil, qui était jusqu’ici haut cadre de la Banque Centrale du Liban, nommé aux Finances, ou encore Nasser Yassine, professeur et directeur de l’Observatoire des crises à l’Université américaine de Beyrouth. La formation d’un cabinet de spécialistes totalement indépendants du petit monde politique, accusé de corruption, a longtemps été réclamée par la rue, ainsi que par certaines puissances étrangères, la France en tête, impliquées dans le dossier libanais.
Dans son allocution, Mikati a appelé tous les camps libanais à s’unifier pour affronter la crise économique inédite que traverse le pays depuis l’été 2019. Une crise qui n’a eu de cesse de s’aggraver, la Banque Mondiale (BM) la qualifiant d’une des pires au monde depuis 1850. En juillet dernier, Aoun avait chargé Najib Mikati, ancien premier ministre et homme le plus riche du pays, de former un nouveau gouvernement après l’échec de son prédécesseur, l’ancien premier ministre, Saad Hariri. Ce dernier avait jeté l’éponge au terme de neuf mois de difficiles tractations. Après sa démission, il avait accusé l’Iran, principal soutien du Hezbollah, « un Etat dans l’Etat », d’entraver la formation du gouvernement.
« Il suffit de suivre le cours des événements pour comprendre à quel point l’ombre de l’Iran plane sur le Liban. Juste avant l’annonce du gouvernement, le président français, Emmanuel Macron, a appelé son homologue iranien, Ebrahim Raïssi. Ce qui signifie qu’il y a eu un accord tacite pour que Téhéran exerce des pressions sur le Hezbollah et qu’un accord sur la formation du gouvernement soit enfin trouvé », explique Dr Sameh Rached, analyste au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram. « Quelques heures après l’entretien Macron-Raïssi, le gouvernement a été annoncé », dit-il.
Dernière chance
En effet, estime l’expert, après que Saad Hariri s’est désisté, Najib Mikati représentait la dernière chance pour le Liban. Car malgré les menaces de sanctions de l’Union Européenne (UE), les avertissements et les accusations « d’obstruction organisée » ces derniers mois, les dirigeants politiques libanais campaient sur leur position.
Mais de nombreux défis attendent ainsi le prochain gouvernement, notamment la conclusion d’un accord avec le Fonds Monétaire International (FMI), avec lequel les pourparlers sont interrompus depuis juillet 2020. Il s’agit pour la communauté internationale d’une étape incontournable pour sortir le Liban de la crise et débloquer d’autres aides substantielles. Depuis un an, les pays donateurs se sont contentés de fournir une aide humanitaire d’urgence, sans passer par les institutions officielles libanaises en l’absence d’un gouvernement réformateur. « Les aides promises au cours de la récente Conférence internationale de soutien au Liban seront versées à ce gouvernement. Parallèlement, Mikati compte se tourner vers les pays arabes pour solliciter leur aide. Or, ces dernières années, les relations avec les riches monarchies du Golfe étaient tendues depuis plusieurs années, sur fond de bras de fer régional entre l’Iran chiite, allié du puissant mouvement libanais Hezbollah, et le Golfe sunnite », souligne l’expert. Autre promesse du nouveau premier ministre : la tenue des prochaines élections législatives, prévues en mai 2022, dans les délais. Elles sont considérées comme cruciales en vue d’un début de renouvellement de l’élite politique, quasi inchangée depuis la guerre civile (1975-1990).
« Mikati a fixé ses priorités : reconstruire le Liban et ses infrastructures et apaiser la colère des Libanais », estime Dr Sameh Rached. Dans les rues de Beyrouth, l’annonce d’un nouveau gouvernement n’a visiblement pas réussi à remonter le moral de la population. Sur les réseaux sociaux, la nomination de George Kordahi, présentateur vedette de la télévision connu pour la version arabe de l’émission « Qui veut gagner des millions », au gouvernement de l’homme le plus riche du Liban a suscité bien des moqueries … .
La crise en chiffres
78 %
Taux de la population vivant en dessous du seuil de pauvreté selon l’Onu.
100 milliards de dollars
Montant de la dette.
90 %
Taux de chute de la livre libanaise face au dollar.
22 heures/jour
La durée que peuvent atteindre les coupures de courant.
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