L’armée s’est déployée dans les stations-service pour les obliger à ouvrir.
(Photo:AFP)
La terre tremble au Liban depuis l’annonce par la Banque Du Liban (BDL), mercredi 11 août, de la levée des subventions sur les carburants. Cette fois-ci, à la contestation du peuple s’ajoute celle du gouvernement et du chef de l’Etat, car elle devrait entraîner une hausse de plus de 300% des prix de l’essence et du mazout. La BDL a annoncé sa décision de n’accorder des lignes de crédit qu’au taux du marché noir pour l’importation de carburants, provoquant colère et panique dans le pays et faisant craindre une énième augmentation des prix et des pénuries, y compris de pain. Résultat: la plupart des stations-service ont arrêté de vendre leurs stocks en attendant que les nouveaux prix soient fixés et plusieurs établissements ont dû fermer leurs portes, faute de diesel pour alimenter les générateurs privés, tandis que les pannes de courant culminent à plus de 22 heures par jour. L’armée a même dû se déployer dans des stations-service pour les obliger à ouvrir, menaçant de « perquisitionner les stations-service fermées, de confisquer toutes les quantités d’essence qui y sont stockées et de les distribuer directement et gratuitement ».
Le coup de trop pour les Libanais, alors que le pays traverse depuis la fin 2019 l’une des pires crises économiques au monde depuis 1850, selon la Banque mondiale, avec d’importantes pénuries de carburants, qui affectent l’approvisionnement en biens de première nécessité. La livre libanaise a perdu en moins de deux ans plus de 90% de sa valeur par rapport au dollar sur le marché. Les ménages dépensent aujourd’hui jusqu’à cinq fois le salaire minimum pour assurer leurs besoins alimentaires. Et 78 % de la population vivent désormais en dessous le seuil de pauvreté.
Pas assez pour pousser le directeur de la BDL, Riyad Salamé, à faire marche arrière. « Je ne reviendrai pas sur (la décision de) lever des subventions sur les carburants à moins que l’usage des réserves obligatoires (de devises) ne soit légalisé », a-t-il martelé. Pourtant, la décision de Salamé fâche l’exécutif. Le président libanais, Michel Aoun, a transmis, samedi 14 août, une lettre au parlement à travers son président, Nabih Berry, où il demande que le parlement débatte de la situation socioéconomique catastrophique qui s’est rapidement détériorée au cours des derniers jours après la décision de la BDL. Michel Aoun et le premier ministre sortant, Hassane Diab, ont appelé à une réunion exceptionnelle du Conseil des ministres sortants pour solutionner la crise. Car plusieurs secteurs-clés sont ainsi aujourd’hui menacés par cette crise dont les hôpitaux, alors que plusieurs d’entre eux ont annoncé devoir fermer leurs portes faute de fioul pour leurs générateurs, ou encore les boulangeries.
Et ce n’est pas tout: au moins 20 personnes ont été tuées et près de 80 autres blessées dans la nuit du samedi 14 au dimanche 15 août par l’explosion d’un camion-citerne dans la région du Akkar, dans le nord du Liban, selon la Croix-Rouge libanaise et les médias officiels. L’agence nationale d’information, ANI, a annoncé que le camion-citerne que l’armée avait confisqué avait explosé après des heurts entre des résidents. Ils s’étaient attroupés autour pour se procurer de l’essence. L’armée n’était pas présente sur les lieux quand l’explosion s’est produite, a-t-elle ajouté.
Divergences sur les portefeuilles régaliens
Parallèlement à cette crise économique aigüe, le blocage politique se poursuit. Le premier ministre désigné, Naguib Mikati, s’est entretenu, jeudi 12 août, avec le président Michel Aoun, pour tenter de faire progresser le processus de formation du gouvernement libanais, qui attend un cabinet depuis plus d’un an après la démission de Hassane Diab le 10 août 2020. A sa sortie du palais présidentiel, le premier ministre désigné s’est contenté de dire: « Nous poursuivrons les discussions la semaine prochaine ». Soit, pas de progrès tangible à cette huitième réunion entre les deux hommes depuis la désignation de Mikati à la présidence du conseil, le 26 juillet dernier, intervenue au lendemain de la décision de la BDL. La liste des désaccords est longue: Aoun veut s’assurer la minorité de blocage, il veut contrôler les ministres-clés comme les Affaires étrangères, l’Intérieur et la Défense. De son côté, Mikati insiste sur le fait de garder intacte la répartition actuelle des portefeuilles dits régaliens (un chiite aux Finances, un sunnite à l’Intérieur et deux chrétiens aux Affaires étrangères et à la Défense). Il insiste à obtenir le portefeuille de l’Intérieur, qui se chargera d’organiser les échéances électorales de 2022, mais aussi celui de la Justice réclamé par Aoun. Mikati aurait proposé au chef du Courant Patriotique Libre (CPL, parti présidentiel) Gibran Bassil, que le ministre chargé de ce portefeuille soit un sunnite choisi en accord avec le camp aouniste.
« Au Liban, c’est la paralysie », résume ainsi Dr Mona Solimane, professeure de sciences politiques à l’Université du Caire, qui estime que « la communauté internationale doit faire pression sur la classe politique pour l’obliger à faire des concessions pour sortir de l’impasse et former un gouvernement qui mène un plan de réformes sous l’égide des institutions financières internationales ». Car l’aide internationale au Liban reste conditionnée à la formation d’un gouvernement capable de lutter contre la corruption et de mener des réformes. Et l’analyste de rappeler que, selon un rapport de la Banque mondiale, le Liban a besoin de 12 ans de travaux intenses pour redresser son économie .
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