Il s’agissait de la 18e rencontre Hariri-Aoun, et elle s’est achevée sur un échec encore plus flagrant que les précédentes. (Photo : AP)
Un gouvernement technocrate formé de spécialistes ou un autre techno-politique formé d’une répartition confessionnelle et partisane ? Tel est le point essentiel de désaccord qui mène, à chaque fois, à l’échec des discussions entre les principaux acteurs politiques au Liban, depuis octobre dernier, afin de former un nouveau gouvernement. Cette fois-ci, les désaccords ont éclaté au grand jour avec des passes d’armes directes entre le président libanais, Michel Aoun, et le premier ministre désigné, Saad Hariri. Lundi 22 mars, les deux hommes se sont rencontrés pour la 18e fois, avec toujours le constat d’échec : pas de gouvernement en vue et aucune entente entre les deux hommes. Au contraire, les différends n’ont pas été dissimulés, et ils sont tels qu’aucune nouvelle date de réunion n’a été annoncée. Pire encore, à la suite de cette courte rencontre de quelques minutes, le ton est monté publiquement entre les deux hommes avec des échanges d’accusations directs, faisant craindre une impasse totale.
En effet, dans une allocution télévisée enflammée depuis le palais présidentiel, Hariri a violemment pris à partie Aoun, lui reprochant d’entraver la formation du gouvernement en insistant sur une « minorité de blocage » au sein de la prochaine équipe ministérielle et en cherchant à imposer une répartition « confessionnelle et partisane » des portefeuilles. « Le travail du premier ministre désigné n’est pas de remplir des papiers (...) et ce n’est pas au président de la République de former un gouvernement », a lancé frontalement Hariri lors d’une conférence de presse tenue à la suite de la rencontre. Le qualifiant d’« unique et dernière chance pour le pays », Hariri a réitéré son attachement à un gouvernement de technocrates, réclamé à l’international, « chargé de lancer des réformes et de stopper l’effondrement », ainsi que de débloquer une aide étrangère substantielle. Et de poursuivre qu’il a soumis au président Aoun une « ébauche » de gouvernement « depuis 100 jours », avant de la dévoiler à la presse, les noms de ministres à l’appui. Aussitôt, la présidence a démenti, dans un communiqué, toute velléité de « minorité de blocage » et exprimé son « étonnement » quant aux « propos » et au ton de Saad Hariri.
Quelques jours avant cette rencontre houleuse, une autre poussée de fièvre a eu lieu le 18 mars lorsque le président Aoun a lancé un ultimatum à Hariri, l’enjoignant de former « immédiatement » un gouvernement ou de rendre son tablier. Allié de Michel Aoun, le chef de l’influent mouvement chiite du Hezbollah, Hassan Nasrallah, l’a de son côté appelé à revoir sa formule. « Un gouvernement de technocrates qui ne serait pas protégé par les forces politiques ne pourra ni sauver le pays ni prendre des décisions majeures », a plaidé Nasrallah.
Ce sont donc toujours les mêmes vieux démons. Trois fois premier ministre, Saad Hariri a été chargé fin octobre — un an après sa chute sous la pression de la rue — de former un nouveau gouvernement. Et ce, après que le gouvernement actuel, chargé des affaires courantes, eut démissionné en août après l’explosion dévastatrice du port de Beyrouth (plus de 200 morts, des milliers de blessés), un coup de grâce pour une population déjà mise à genoux. Mais cinq mois plus tard, les partis restent absorbés par leurs habituelles polémiques dans un pays multiconfessionnel mis en coupes réglées par les barons des diverses communautés. Contestée par une partie de la population, qui la juge corrompue et incompétente, la classe politique libanaise semble se moquer de la grogne populaire, qui s’est aggravée avec l’effondrement du Liban dans une grave crise financière : forte dépréciation de la livre libanaise sur le marché noir de la monnaie nationale, explosion de la pauvreté et du chômage et érosion du pouvoir d’achat. Une situation qui, avec l’absence de gouvernement stable, empêche la conclusion d’un accord avec le Fonds Monétaire International (FMI), pourtant essentiel pour mener les réformes nécessaires et restaurer la confiance de la communauté internationale.
Accroître les pressions
Et pendant que la grogne populaire se poursuit, tout comme le blocage politique et l’effondrement économique, la communauté internationale, avec en tête la France, tente de faire pression pour sortir de l’impasse à travers des réformes et un cabinet de spécialistes, loin des répartitions confessionnelles et partielles. Face à l’impasse, le chef de la diplomatie française, Jean-Yves Le Drian, a appelé lundi 22 mars, depuis Bruxelles, ses homologues de l’Union européenne à actionner « les leviers qui nous permettraient de faire pression auprès des autorités libanaises, pour qu’elles bougent ». Jean-Yves Le Drian a discuté avec ses homologues européens des solutions à mettre en oeuvre pour sortir le Liban de la crise. Une source diplomatique française avait récemment estimé qu’Européens et Américains devaient accroître les « pressions », brandissant même la menace de « sanctions ». La France a été à l’initiative des récents efforts internationaux visant à sortir le Liban de sa plus grave crise depuis la guerre civile de 1975-1990, mais elle n’est jusqu’ici pas parvenue à convaincre les responsables politiques libanais de s’unir pour former un gouvernement à même de mener les réformes attendues, ce qui permettrait de débloquer l’aide internationale.
Mais la France n’est pas la seule à avoir son mot à dire. Selon les analystes, le sort du Liban reste fortement attaché à ce qui se passe dans la région. L’ingérence de quelques pays comme l’Iran dans la question libanaise pour l’utiliser comme carte de pression complique la situation. Interviewé par la chaîne Extra News, l’analyste politique libanais Chadi Nachaba résume la situation : « La formation du gouvernement, son futur programme, tout est lié tant à la situation intérieure que régionale. Hariri le sait parfaitement, c’est pourquoi il attend de voir les développements régionaux pour voir qui va le soutenir. A l’intérieur, il doit aussi choisir ceux qui peuvent l’aider à mener les réformes demandées par le FMI. Un équilibre difficile. Sinon le nouveau gouvernement va affronter le même sort de ses précédents : la chute ».
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