Il a fallu une semaine de débats et de vote à Genève sous les auspices de l’Onu pour désigner le premier ministre intérimaire et les membres du Conseil présidentiel. (Photo : AFP)
Après des années de tensions, de violence et de chaos, la Libye a entamé, samedi 6 février, une nouvelle phase de transition. Vendredi 5 février, les 75 membres du Forum de dialogue politique ont voté à Genève pour choisir un conseil pour diriger la période de transition dans le cadre d’un processus lancé en novembre par l’Onu. Quatre nouveaux dirigeants — un premier ministre et les trois membres d’un Conseil présidentiel — issus des trois régions de la Libye devront tenter de réunifier les institutions de l’Etat et assurer la sécurité dans ce pays miné par les divisions, avec deux autorités rivales basées dans l’ouest et dans l’est qui se disputent le pouvoir. Ainsi, Abdel Hamid Dbeibah est devenu premier ministre (voir encadré) et son colistier, Mohammed Younes el-Menfi, originaire de Cyrénaïque (est), a été élu président du Conseil présidentiel intérimaire. Il sera épaulé par deux vice-présidents : Moussa Al-Koni, un Touareg, et Abdallah Hussein Al-Lafi, un député de Zaouia (Ouest).
« Le résultat du vote est une surprise parce que les principales personnalités influentes étaient sur l’autre liste. C’est un choix contre les favoris. Les Libyens ne cessent de dénoncer le non-renouvellement des élites politiques du pays, la corruption et un quotidien rythmé par des pénuries de liquidités et d’essence, les coupures d’électricité et l’inflation », explique Dr Ayman Chabana, professeur de sciences politiques à l’Université du Caire, tout en ajoutant que la liste de Dbeibah faisait figure d’outsider par rapport à celle du président du parlement, Aguila Saleh, et du puissant ministre de l’Intérieur, Fathi Bashagha, deux poids lourds politiques non seulement à l’intérieur de la Libye, mais aussi à l’étranger.
De part et d’autre, ce pas a été salué. « Le commandement général des forces armées libyennes bénit et félicite le peuple libyen pour les résultats du Forum du dialogue politique libyen sous l’égide de la Mission des Nations-Unies en Libye, qui a abouti à l’élection d’une nouvelle autorité exécutive », a déclaré Ahmad Al-Mesmari, porte-parole du maréchal Haftar, depuis Benghazi (est). Cette première réaction du camp de l’est de la Libye intervient au lendemain de celle de Fayez Al-Sarraj, chef du Gouvernement d’union nationale (GNA), basé à Tripoli (ouest), qui a félicité « ceux qui ont été choisis à la tête de ces responsabilités dans cette période difficile, leur souhaitant du succès dans leur mission ».
A l’étranger aussi, cette avancée a été louée. Le secrétaire général des Nations-Unies, Antonio Guterres, a salué « une très bonne nouvelle » dans la quête de la paix. Mais le plus dur reste à faire. Les pays européens et arabes ont souligné qu’un long chemin restait à parcourir. En effet, il faut noter que l’exécutif intérimaire a une mission lourde et difficile, car plusieurs obstacles vont les rencontrer. « L’autorité exécutive unifiée devra mettre en oeuvre l’accord de cessez-le-feu, fournir les services publics essentiels au peuple libyen, lancer un programme de réconciliation significatif, réunifier les institutions de l’Etat, faire face aux besoins critiques du budget national, organiser des élections nationales prévues en décembre et mettre fin à une décennie de chaos », a affirmé le communiqué de 75 membres. Selon Dr Mona Soliman, professeure de sciences politiques à l’Université du Caire, la mission est difficile, la tâche est lourde et plusieurs questions restent en suspens. « Par exemple, aucun détail n’a été mentionné sur les institutions sécuritaires, surtout l’armée libyenne. Or, le rôle de ces institutions constitue l’un des principaux différends qui doit être réglé en premier lieu », estime-t-elle. Elle explique que depuis 6 mois, « les discussions de la commission militaire conjointe 5+5 se tiennent régulièrement, mais les différends persistent et aucun accord sur l’organisation des institutions sécuritaires n’a été trouvé ». Et d’ajouter : « L’application des accords est toujours l’étape la plus difficile. Avant tout, le nouveau premier ministre doit chercher les moyens d’appliquer les accords, il doit profiter du soutien des pays européens et arabes ».
21 jours pour former un gouvernement
Selon le plan onusien, le premier ministre dispose de 21 jours maximum pour former son cabinet. Il bénéficiera de 21 jours supplémentaires pour obtenir le vote de confiance au parlement, soit au plus tard le 19 mars. Des accords signés au Maroc en 2015 sous l’égide de l’Onu avaient déjà débouché sur la formation d’un Gouvernement d’union nationale (GNA, basé à Tripoli) et la désignation de son chef Fayez Al-Sarraj, mais celui-ci n’a jamais pu obtenir la confiance du parlement, basé dans l’est, ni imposer son autorité auprès des forces politiques et militaires du pays. Ainsi, le défi est de taille pour la nouvelle équipe dirigeante après 42 ans du pouvoir sans partage de Kadhafi ayant laissé place aux violences, aux luttes de pouvoir et aux ingérences étrangères. Après l’échec d’une offensive lancée en avril 2019 par le maréchal Khalifa Haftar pour conquérir Tripoli, des progrès politiques ont toutefois été accomplis avec un cessez-le-feu signé à l’automne et un rebond de la production pétrolière, secteur-clé de l’économie.
Dans un discours télévisé, Dbeibah a appelé tous les Libyens à soutenir son gouvernement pour la reconstruction du pays, promettant d’être prêt à écouter et à travailler avec tous les Libyens, quelle que soient leur idéologie, leur appartenance ou leur région.
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