L’étincelle de cette nouvelle vague de manifestations a démarré à Tripoli. (Photo : AFP)
De nouvelles manifestations ont éclaté dimanche 31 janvier dans plusieurs villes libanaises pour soutenir Tripoli. Cette dernière a été le théâtre quelques jours auparavant de violentes manifestations qui ont fait un mort parmi les manifestants et plus de 300 blessés. Les Libanais protestent contre la dégradation des conditions de vie et le confinement strict en place depuis le 14 janvier jusqu’au 8 février. La contestation a pris une tournure violente. Plusieurs bâtiments ont été dégradés, ou même incendiés, comme le siège historique de la municipalité de la ville de Tripoli, un acte qui a suscité un tollé dans le pays. L’armée et les forces de l’ordre ont réprimé les manifestations, alors que les responsables politiques du pays se rejetaient la balle quant à savoir qui ou quoi a provoqué ces émeutes et qui en assumait la responsabilité. Des convois de protestataires sont arrivés au centre-ville de Beyrouth, en soutien à Tripoli. Ces convois regroupaient des manifestants des quatre coins du pays, allant jusqu’à Tyr, au Sud-Liban.
Mais c’est à Tripoli que la situation a le plus dégénéré ces derniers jours. Alors que l’armée et les forces de sécurité ont été accusées par certains d’excès de violence et d’usage d’armes létales contre les manifestants, des responsables politiques, à leur tête le premier ministre désigné, Saad Hariri, ont estimé que l’armée était restée « les bras croisés » face aux actes de vandalisme. Partageant la même position, le ministre sortant de l’Intérieur, Mohammad Fahmi, a volé au secours des services de sécurité affirmant, dimanche 31 janvier, que ceux-ci n’ont pas commis d’erreurs à Tripoli. « Les services de sécurité n’ont pas commis d’erreurs à Tripoli. Il y avait un objectif clair de nuire au prestige de l’Etat », a affirmé Fahmi, tout en expliquant que « la municipalité de Tripoli n’est pas une caserne de l’armée ou des forces de sécurité », mais représente les institutions de l’Etat.
Un débordement de trop dans un pays sans gouvernement depuis des mois, en proie à une crise politico-économique aigüe. « La situation devient de plus en plus critique. La population est à bout à cause du confinement qui est venu aggraver la crise économique, les protestataires veulent faire pression sur la classe politique pour trouver une issue à cette crise », explique Dr Mona Solimane, professeure de sciences politiques à l’Université du Caire. Mais ce n’est pas tout, explique-t-elle. « Si ces manifestations ont éclaté à Tripoli, une ville sunnite, c’est parce que les rivaux du premier ministre désigné, Saad Hariri, veulent l’embarrasser et le pousser à démissionner. Ils seraient derrière cette nouvelle vague, plus violente et destructrice que les précédentes. Tripoli, capitale du nord et deuxième ville du pays, est devenue la ville la plus pauvre du Liban », affirme-t-elle.
Cercle vicieux
En effet, les relations entre le président libanais, Michel Aoun, et Saad Hariri sont au plus bas. On peut même signaler un bras de fer politique autour de la formation du prochain gouvernement. Cette tâche avait été assignée à Hariri le 22 octobre 2020. Le cabinet de Hassane Diab avait démissionné le 10 août dans la foulée de l’explosion meurtrière au port de Beyrouth. « La vraie crise au Liban, c’est la classe politique qui n’arrive pas à s’entendre. La formation du gouvernement est une mission lourde et difficile. Hariri a présenté un gouvernement composé de 18 ministres de technocrates et de spécialistes, c’est exactement ce dont le Liban a besoin : un gouvernement d’experts capables de trouver des issues aux crises et non des membres affiliés aux chefs et aux partis. Mais Aoun insiste sur un gouvernement complet de 30 ministres, et il refuse les propositions de Hariri. Ainsi, le Liban vit dans un cercle vicieux, et ce blocage entraîne le pays vers l’effondrement », estime Mona Solimane.
Or, le différend entre les deux responsables devient presque insurmontable, et s’est transformé en vives tensions entre leurs camps respectifs, marquées par des échanges réguliers d’accusations et de critiques. Ainsi, le Courant Patriotique Libre (CPL, du président Aoun) avait estimé que les violences de cette semaine à Tripoli au cours de manifestations anti-gouvernementales devaient pousser le premier ministre désigné à former rapidement un gouvernement, en accord et en partenariat complet avec le chef de l’Etat, accusant Saad Hariri de « perdre son temps en blâmant les autres de ses propres torts ». Le Courant du Futur de Hariri avait aussitôt réagi : « Le CLP reste dans son état de déni, qui transparaît dans chaque communiqué. Vouloir faire bonne figure est une accusation qui correspond mieux au CPL », a dénoncé le Courant du Futur dans un communiqué.
Face à cette situation complexe, Mona Solimane estime qu’il est urgent que la communauté internationale fasse pression sur les parties libanaises afin de sortir de la crise. Premier pays à le faire : la France. Le président français, Emmanuel Macron, a déclaré que la France se tenait aux côtés du Liban dans les circonstances actuelles et s’est dit prêt à aider Beyrouth dans cette situation, notamment à la formation du gouvernement. Le 1er septembre dernier, lors de sa deuxième visite au Liban en moins d’un mois, Macron avait présenté une initiative pour le redressement économique et financier du pays. Dans cette feuille de route figuraient plusieurs priorités, en tête desquelles la formation d’un cabinet de mission, dont toutes les formations politiques libanaises s’étaient engagées à faciliter la mise sur pied dans un délai de 15 jours. Près de cinq mois plus tard, et trois mois après la nomination de Saad Hariri, le nouveau gouvernement n’a pas encore vu le jour en raison des divergences politiques. Vendredi 29 janvier, le chef de l’Elysée a annoncé qu’il entendait revenir à Beyrouth pour une troisième visite. Le président français devait initialement se rendre au Liban les 22 et 23 décembre 2020, pour sa troisième visite depuis la double explosion meurtrière au port de Beyrouth, le 4 août 2020. Il devait notamment passer le réveillon avec les militaires français de la Finul, à la frontière avec Israël. Mais sa visite avait été annulée en dernière minute lorsqu’il avait contracté le Covid-19. Macron avait néanmoins affirmé que l’initiative française restait en vigueur, dénonçant un « système libanais qui se trouve dans l’impasse du fait de l’alliance diabolique entre la corruption et la terreur ». Une tâche difficile attend donc Paris.
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