Le mouvement de contestation déclenché il y a un an n'a pas entraîné les changements espérés.
Ironie du sort. C’est un an après son départ sous la pression de la rue que l’ancien premier ministre libanais Saad Hariri, s’apprêterait à revenir aux commandes. Un retour à la case départ qui intervient — s’il a lieu — au moment même où les Libanais célèbrent le 1er anniversaire du déclenchement de leur mouvement de contestation. Saad Hariri et son gouvernement — tout comme l’ensemble de la classe politique — étaient alors conspués, poussés à la sortie. Un an après, alors que les crises politiques et socioéconomiques n’ont fait qu’empirer, Hariri semble être la seule bouée de sauvetage restante. Et pourtant, même son retour n’est pas garanti. Alors que les consultations parlementaires officielles en vue de nommer un nouveau chef du gouvernement devaient être entamées jeudi 15 octobre, elles ont été reportées d’une semaine, soit à ce jeudi 22 octobre « en raison de l’émergence de difficultés qui nécessitent d’être surmontées », a annoncé la présidence libanaise. Les négociations officieuses, elles, ont certainement déjà eu lieu …
Mais si le leader du Courant du Futur veut tenter sa chance, rien n’indique que les facteurs de blocage qui ont conduit Moustapha Abid, précédemment nommé pour former une équipe, à y renoncer aient disparu. D’un côté, il y a le refus du tandem chiite Hezbollah/Amal que le premier ministre nomme la totalité des membres du cabinet. Le Hezbollah, évoquant le principe constitutionnel de distribution équitable des postes entre les communautés, insiste à maintenir la tradition selon laquelle chaque communauté nomme « ses » ministres, mais aussi à conserver le portefeuille des Finances. Parallèlement, le Courant Patriotique Libre (CLP, du président Michel Aoun) ne soutient pas la nomination de Hariri, arguant que ce dernier n’est pas un spécialiste comme exigé par la feuille de route française, présentée comme porte de sortie de crise aux suites de la crise exaspérée par l’explosion du port de Beyrouth. Tout comme les Forces Libanaises (FL, de Samir Geagea) et le Parti Socialiste Progressiste (PSP, de Walid Joumblatt). D’ailleurs, le report des consultations parlementaires serait dû au manque de soutien des partis politiques chrétiens.
A ce stade donc, la crise politique se poursuit et se manifeste toujours par l’impossibilité de former un gouvernement, près de six semaines après la démission, le 10 août dernier, de celui de Hassane Diab, suite à la gigantesque explosion qui a ravagé le port de Beyrouth le 4 août, alors que la crise économique, elle, ne fait que s’envenimer. Pourtant, tant les bailleurs de fonds comme le Fonds Monétaire International (FMI), que la communauté internationale, avec à sa tête la France, ne cessent de rappeler que l’aide financière, dont le Liban a urgemment besoin pour freiner la descente aux enfers, est tributaire de réformes économiques et financières que seul un gouvernement efficace serait susceptible d’adopter. Paris a d’ailleurs de nouveau appelé, vendredi 16 octobre, les forces politiques libanaises à « prendre leurs responsabilités » pour éviter « le chaos et la paralysie », rappelant que ces forces politiques portent seules « la responsabilité de ce blocage prolongé, qui empêche toute réponse aux attentes exprimées par la population libanaise », selon le Quai d’Orsay.
Des espoirs envolés
En attendant que ces forces répondent à l’appel de la France, le retour de Saad Hariri est négocié entre les différents partis, c’est-à-dire entre les différentes communautés et les mêmes figures de la classe politique tant conspuée lors du mouvement de contestation déclenché il y a tout juste un an, le 17 octobre 2019. Force est de constater que les espoirs de changements suscités par ce mouvement se sont envolés. Une résilience due au système confessionnel trop ancré dans la vie politique, sociale et économique du Liban, un système verrouillé par une classe politique dominée par les réseaux d’intérêts et d’allégeances communautaires. Une classe politique toujours là, absorbée par des marchandages interminables pour former un gouvernement et ignorant les appels de la communauté internationale à des réformes.
Comment, dans ces conditions, alors que la classe politique reste divisée et que Saad Hariri ne fait pas l’unanimité, ce dernier peut-il former un gouvernement à même de conduire les réformes qui s’imposent et sortir le pays de la crise ? Comment peut-il satisfaire à la fois les différentes communautés confessionnelles, le peuple et la communauté internationale ? La tâche s’annonce titanesque pour celui qui occupera le poste de premier ministre, alors que le Liban a célébré, samedi 17 octobre, le premier anniversaire du soulèvement populaire inédit, déclenché contre une élite politique accusée de corruption et d’incompétence, sans toutefois entraîner de véritables changements dans un pays en plein effondrement économique. Pire encore, depuis, la situation s’est nettement détériorée, notamment avec les effets du coronavirus, l’effondrement de la monnaie locale, des dizaines de milliers de licenciements et des coupes salariales dans un pays où désormais la moitié de la population vit dans la pauvreté.
Une année est passée depuis ce soulèvement, une année où chefs de gouvernement ont démissionné, où les crises se sont multipliées et ont pris de l’ampleur, où la classe politique s’est accrochée et où la contestation sociale s’est essoufflée au fil des mois, notamment à cause de l’absence de leadership en son sein et du non-ralliement de larges pans de la communauté chiite. « Tous veut dire tous », avaient scandé les protestataires pendant des semaines, réclamant le départ de l’ensemble de la classe politique. Aujourd’hui, « tous » sont toujours sur la scène, avec leurs mêmes tiraillements, leurs mêmes calculs et leurs mêmes jeux d’intérêts. Avec un plus : un blocage tel que le Liban, qui traverse aujourd’hui une phase cruciale de son histoire, s’enfonce dans une crise tellement profonde et complexe que son existence même est en jeu.
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