
Renforcement des mesures sécuritaires près de l'ambassade américaine à Bagdad, cible régulière d'attaques. (Photo : AFP)
Coup de bluff ou réelle menace ? Face aux attaques répétitives contre les intérêts américains en Iraq, sans doute menées par des groupes pro-Iran, Washington a déclaré qu’il allait fermer son ambassade à Bagdad et, en plus, ouvrir une autre à Erbil. Une déclaration choquante pour la classe politique iraqienne, surtout le premier ministre Mostafa Al-Kazimi. Plusieurs sources politiques et diplomatiques ont confirmé à l’AFP que le secrétaire d’Etat américain, Mike Pompeo, avait posé, il y a une semaine, un ultimatum au président iraqien, Barham Salih : soit les attaques cessent, soit Washington ferme son ambassade et rappelle ses 3 000 soldats et ses diplomates. Pour le politologue Tarek Fahmy, entre la menace et le passage à l’acte, il y a un monde, « car ceci nuirait aux intérêts américaines en Iraq et dans toute la région ». « La présence américaine en Iraq protège les intérêts américains en premier lieu et représente une vraie menace à l’Iran. C’est donc une pression sur Bagdad et un coup de campagne électorale. Washington ne peut même pas déplacer son ambassade, qui est plus sécurisée à Bagdad. D’ailleurs, les milices pro-iraniennes ont attaqué des positions américaines à Erbil après cette déclaration », explique-t-il.
Côté iraqien, les réactions ne se sont pas fait attendre. Bagdad a officiellement dénoncé, mercredi 30 septembre, cette annonce, la considérant comme dangereuse et tentant de rassurer les autres chancelleries. Le ministre iraqien des Affaires étrangères, Fouad Hussein, a dit craindre qu’« un retrait américain puisse entraîner le retrait d’autres pays également engagés dans la lutte contre le groupe djihadiste de Daech qui menace l’Iraq, mais également toute la région jusqu’à maintenant ». Mais, selon les analystes, la menace américaine embarrasse le premier ministre iraqien qui compte sur Washington pour diminuer l’influence iranienne dans son pays. Egalement chef du renseignement, Kazimi est engagé dans un bras de fer avec les pro-Iran, majoritaires au parlement et représentant, selon des militaires occidentaux, une menace pour l’Iraq dans la mesure où ils sont suffisamment armés. Mais il est accusé par des responsables américains de ne pas en faire assez contre les pro-Iran.
Au sein de la classe politique, plusieurs camps ont aussi réagi. Le très influent leader chiite Moqtada Sadr a appelé à « créer une commission sécuritaire, militaire et parlementaire pour enquêter » sur les tirs de roquettes. Une déclaration d’autant plus significative qu’il s’est taillé il y a une quinzaine d’années une figure de leader incontournable dans la lutte armée contre les Américains. Les partis politiques chiites se sont mis d’accord pour condamner ces attaques, Autre fait significatif, le Hachd Al-Chaabi, coalition de paramilitaires pro-Iran désormais intégrés à l’Etat, a mis à l’écart plusieurs commandants accusés d’être liés à des attaques contre les Occidentaux. Désormais deuxième bloc du parlement, le Hachd n’est plus uniquement une force militaire. Dans un pays étouffé par la corruption, ce dernier a aussi désormais, comme tous les acteurs politiques, des intérêts économiques à préserver. Le Hachd a ainsi tenu à dire qu’il se dégageait de toute responsabilité quant aux actes de parties se réclamant de lui pour mener des actes militaires illégaux contre des intérêts étrangers.
Divisions chez les pro-Iran
Pour satisfaire les Américains, le chef de la diplomatie iraqienne a assuré avoir ouvert des canaux de négociations avec les groupes armés du camp chiite pro-Iran où des divisions commencent à apparaître. Les plus modérés ont multiplié les communiqués depuis l’ultimatum américain pour se dégager de toute responsabilité, alors que les radicaux intransigeants ont, eux, de nouveau mené des attaques, la dernière en date mardi 29 septembre. Selon Tarek Fahmy, « les attaques anti-américaines ont plusieurs objectifs : venger l’assassinat, en janvier dernier, du général iranien Qassem Soleimani et du chef de facto du Hachd, Abou-Mehdi Al-Mouhandis, par un drone américain à Bagdad, prouver qu’ils sont toujours puissants, et enfin, embarrasser Kazimi, car ce dernier s’essaie de sauver son pays et veut se débarrasser de l’influence iranienne ». En effet, un retrait américain serait aussi un coup dur pour Kazimi, qui bataille déjà pour obtenir un vote sur la loi électorale et le budget, ses premières promesses au peuple.
Le 18 août dernier, le premier ministre iraqien avait conduit une délégation à Washington pour une visite officielle, au cours de laquelle il avait organisé une série de réunions avec des responsables américains et assisté à la seconde session du dialogue stratégique américano-iraqien. Les relations entre l’Iraq et les Etats-Unis ont été marquées par des tensions depuis janvier, lorsqu’un drone des Etats-Unis a frappé un convoi à l’aéroport de Bagdad, tuant ainsi Qassem Soleimani, ex-commandant des forces Al-Qods des Gardiens de la Révolution islamique d’Iran, et Abou-Mehdi Al-Mouhandis, chef adjoint des forces paramilitaires iraqiennes le Hachd Al-Chaabi. Cet événement a donné lieu à un premier round de dialogues stratégiques le 12 juin, au cours duquel les Etats-Unis ont réaffirmé qu’ils ne souhaitaient pas une présence permanente dans ce pays, qu’ils réduiraient leurs forces en Iraq et qu’ils discuteraient avec le gouvernement iraqien du statut des forces restantes dans le pays.
Lien court: