« J’ai honte pour la classe politique libanaise ». Le président français, Emmanuel Macron, n’a pas mâché ses mots pour exprimer son mécontentement envers la situation politique au Liban, alors que le premier ministre libanais désigné, Moustapha Adib, a renoncé à former un nouveau gouvernement en raison notamment des exigences du Hezbollah. « Les forces politiques libanaises ont décidé de trahir leur engagement et ont fait le choix de privilégier leurs intérêts partisans au détriment de l’intérêt général du pays », a déclaré le président français lors d’une conférence de presse à l’Elysée, dimanche 27 septembre. Emmanuel Macron met les dirigeants libanais sous pression maximale après avoir échoué à former un gouvernement de mission, contrairement à leurs engagements, mettant en jeu l’aide internationale devant permettre de sortir le pays de la crise. « Quelques dizaines de personnes sont en train de faire tomber un pays », agrippés, selon lui, à leurs privilèges.
Très impliquée dans le dossier libanais, la France avait demandé, lors de la visite de son président, début septembre, aux partis politiques libanais de former un cabinet « de mission » composé de ministres « compétents » et « indépendants » dans un délai de deux semaines pour sortir le pays du marasme économique sous la présidence du premier ministre désigné Moustapha Adib. Faute de consensus, ce dernier a fini par jeter l’éponge. « Alors que les efforts pour former le gouvernement touchaient à leurs fins, il m’est apparu clairement que ce consensus n’existait plus, et qu’une équipe (ministérielle) selon les critères que j’ai fixés était déjà vouée à l’échec », a justifié Adib, samedi 26 septembre.
Un désistement qui éloigne un peu plus les espoirs d’une sortie de crise, alors que le pays vit depuis un an l’une des pires crises économiques, sociales et politiques de son histoire, marquée par une dégringolade de sa monnaie nationale, une hyperinflation et une paupérisation à grande échelle de la population. La crise a été amplifiée par la pandémie de Covid-19 et l’explosion dévastatrice du 4 août, au port de Beyrouth, qui a fait plus de 190 morts et plus de 6 500 blessés, ravageant aussi des quartiers entiers de la capitale.
Nommé le 31 août pour succéder à Hassane Diab, qui a démissionné suite à cette explosion, M. Adib était sous pression pour former un gouvernement au plus vite, de façon à lancer les réformes réclamées par la communauté internationale pour débloquer des milliards de dollars d’aide. Ses efforts ont toutefois été entravés par un système de partage communautaire du pouvoir, en vigueur depuis l’indépendance, et plus spécifiquement par les revendications de deux formations chiites, le Hezbollah, poids lourd de la politique libanaise, et son allié Amal, dirigé par le chef du parlement Nabih Berri, qui réclamaient le portefeuille des Finances. Le Hezbollah a ainsi été au centre des critiques de Macron. « Le Hezbollah ne doit pas se croire plus fort qu’il ne l’est », a-t-il lancé en critiquant ce parti d’être aussi une milice armée dans un pays démocratique. « Le Hezbollah ne peut en même temps être une armée en guerre contre Israël, une milice déchaînée contre les civils en Syrie et un parti respectable au Liban. C’est à lui de démontrer qu’il respecte les Libanais dans leur ensemble », s’est indigné le président français, selon lequel ce parti pro-Iran a « clairement montré le contraire ».
Enjeux internes et externes
Malgré ses vives critiques, Emmanuel Macron a affirmé que les dirigeants libanais avaient une « dernière chance » pour que soient respectés leurs engagements. Il a donné un nouveau délai de 4 à 6 semaines à ses derniers pour former un nouveau gouvernement de mission dans le cadre du plan français, et obtenir l’aide internationale. Mais en même temps, il n’a pas exclu l’option des sanctions, même si elles ne semblent pas, selon lui, être une bonne solution à ce stade.
La question est désormais de savoir si ce délai peut être respecté ; et si oui, que pourra faire le prochain cabinet face à l’enchevêtrement de crises que vit le Liban. La formation d’un gouvernement n’a jamais été une tâche facile au pays du Cèdre. Cette fois, la situation est encore plus compliquée, même si la survie du pays et les aides internationales restent tributaires de cette étape. Le Liban est au coeur d’un écheveau de conflits idéologiques régionaux qui se superposent. Le premier conflit, sunnite-chiite, oppose ainsi l’Iran et ses alliés à des forces soutenues notamment par les monarchies du Golfe, avec pour terrain d’affrontement la Syrie, l’Iraq, le Yémen, Bahreïn ou le Liban. Le deuxième conflit, intérieur au sunnisme, oppose principalement la Turquie (proche, avec l’AKP d’Erdogan, de l’idéologie des Frères musulmans) à une coalition de forces arabes sunnites regroupant les adversaires des Frères musulmans, sur des théâtres comme la Libye ou la Syrie, sans compter le Liban où la communauté sunnite se divise entre partisans des monarchies du Golfe et ceux (notamment au Liban-Nord et à Tripoli) prônant le rapprochement avec Ankara.
De plus, selon des observateurs, les récentes sanctions américaines contre des personnalités chiites au Liban (un ministre du parti Amal et deux compagnies affiliées au Hezbollah), ont rendu l’Iran, allié du Hezbollah, rude devant tout consensus. Interrogé par Sky News Arabia, le politologue et écrivain libanais Hanna Saleh estime que la crise ne sera pas résolue avant les élections américaines, vu que l’Iran utilise le Liban comme carte de pression.
Or, le nouveau délai donné par Macron se termine avec les élections américaines, les tiraillements internes sont toujours aussi difficiles à résoudre, et le Liban se trouve toujours sans la moindre perspective de sortie de crise.
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