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Dr Mona Solimane : Bagdad doit prendre des décisions fortes mais surtout pouvoir les appliquer

Maha Salem, Mercredi, 09 septembre 2020

Pris en étau entre ses deux alliés, eux-mêmes ennemis, l’Iran et les Etats-Unis, l’Iraq tente un difficile jeu d’équilibriste, alors qu’il subit d’importantes pres­sions pour contrer l’influence iranienne. Dr Mona Solimane, professeure de sciences politiques à l’Université du Caire, explique la situation.

Bagdad doit prendre des décisions fortes mais surtout pouvoir les appliquer
Au cours de sa visite à Bagdad, Macron a insisté sur la souveraineté de l'Iraq et le refus des ingérences étrangères.

Al-Ahram Hebdo : La récente visite en Iraq du président français, Emmanuel Macron, intervient surtout dans un contexte régional tendu, marqué par une pression généralisée contre l’Iran. L’objectif est-il de soutenir l’Iraq pour contrer l’Iran ?

Mona Solimane : En effet, c’est une visite qui intervient dans un contexte très délicat. D’abord en Iraq, où la situation sécuritaire n’est pas stable. C’est d’ailleurs pour des raisons sécuritaires que cette visite n’a pas été annoncée à l’avance. Car plusieurs attentats ont eu lieu à Bassora et à Bagdad au cours de ces deux derniers mois, et ont visé de grands dirigeants militaires, des mili­tants et des activistes. Des attentats qui visent à embarrasser le premier ministre ira­qien, Moustafa Al-Kazimi.

Quant à l’intérêt de la visite de Macron, elle revêt une importance particulière, et ce, pour plusieurs raisons. Tout d’abord, il s’agit de la première visite d’un chef d’Etat français en Iraq depuis des années, et elle est considérée comme un premier pas pour un rapprochement avec l’Europe. Autrement dit, elle ouvre la porte aux autres dirigeants européens pour visiter ce pays et le soutenir économiquement. Au niveau écono­mique, la France veut participer dans la recons­truction de l’Iraq et investir dans le domaine pétrolier. Une sorte d’échange d’intérêts entre les deux pays.

— La France a-t-elle d’autres objectifs ?

— Côté français, Paris veut renforcer son influence dans la région. Cette stratégie s’est vue clairement lors des deux visites de Macron au Liban, le mois dernier juste après l’explosion du port de Beyrouth, et la semaine dernière. Il a aussi prévu d’y revenir en décembre et certaines infor­mations parlent d’une éventuelle visite de Macron en Syrie.

— S’agit-il d’une manière aussi de faire pres­sion sur l’Iraq pour contrer l’influence ira­nienne dans ce pays ?

— Si Paris veut augmenter son poids dans la région, il ne faut pas négliger le soutien apporté à l’Iraq, et implicitement la pression à l’encontre de l’Iran. En insistant sur la souveraineté de l’Iraq, sur le refus de l’ingérence étrangère dans les affaires internes de ce pays, Emmanuel Macron lance un message clair à l’Iran, mais aussi à la Turquie, deux pays jugés déstabilisa­teurs dans la région. Et même si Paris entretient de bonnes relations avec l’Iran — la ministre française des Armées a en quelque sorte défendu le Hezbollah comme étant un parti légitime —, et que l’Iran veut maintenir ces bonnes relations, car il étouffe sous les sanctions américaines, l’in­fluence iranienne en Iraq est très mal vue. La France, comme l’ensemble de la communauté internationale et les pays de la région, veut contrer cette influence jugée nuisible à l’Iraq. Car Téhéran est bel et bien présent dans ce pays, sur les plans politique, écono­mique, commercial, mais aussi culturel. Sans oublier la présence militaire à travers des milices armées influentes et pro-Iran toujours actives en Iraq. Cet état des lieux dérange tant la commu­nauté internationale que les pays de la région. Ceux-ci veulent une sorte d’équilibre de forces en Iraq. Les autorités iraqiennes elles-mêmes en ont assez avec les milices armées pro-Iran qui sévissent dans le pays. Cela dit, cette question reste extrêmement sensible. Le premier ministre ira­qien veut démanteler ces milices et renforcer l’armée, mais il s’expose à d’importants risques en tentant de faire cela, notamment à des attentats contre des militaires.

— Dans ces conditions, comment l’Iraq peut-il appliquer sa poli­tique de distanciation par rapport aux conflits régionaux, d’autant plus qu’il est un allié tant de l’Iran que des Etats-Unis, tous deux ennemis ?

— Kazimi a, à plusieurs reprises, insisté sur le fait que l’Iraq est un pays neutre et qu’il ne veut pas inter­venir dans le bras de fer entre ces deux pays, ni être le théâtre de ce conflit. Mais il a aussi montré sa volonté de diminuer l’influence ira­nienne dans son pays. Cette volonté lui a apporté le soutien américain. Récemment, il a visité Washington qui, à son tour, a annoncé son soutien au gouvernement de Kazimi et son intention d’aider dans la recons­truction de l’Iraq et de diminuer le nombre des forces américaines présentes en Iraq. Les Etats-Unis veulent, à travers leur soutien à l’Iraq, accentuer la pression contre l’Iran.

— Oui mais, concrètement parlant, com­ment Bagdad peut-il contrer l’influence ira­nienne ?

— La volonté est certes là, mais passer à l’ac­tion est plus difficile. Bagdad doit prendre des décisions fortes, mais surtout pouvoir les appli­quer. Et il doit profiter de la situation critique de l’Iran. Ce dernier vit dans une crise interne éco­nomique et politique qui menace sa stabilité. Téhéran doit céder et arrêter son intervention directe et indirecte dans les pays de la région. Mais en même temps, Bagdad doit se délier de sa dépendance à l’Iran dans cer­tains domaines économiques. C’est dans cette optique que Kazimi a conclu des accords avec l’Egypte et la Jordanie dans plusieurs domaines, notamment l’électricité, et ce, pour aider l’Iraq à surmonter ses défis.

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