C’est une personnalité peu connue du grand public qui aura désormais la lourde tâche de former un gouvernement au Liban. Moustapha Adib, 48 ans, ambassadeur du Liban en Allemagne depuis 2013, a été désigné lundi 31 août premier ministre après avoir obtenu le plus grand nombre de voix lors de consultations parlementaires menées par le chef de l’Etat, Michel Aoun. Le nouveau chef de l’exécutif libanais a déclaré vouloir former un gouvernement d’experts et jeter les bases des réformes qui permettront un accord avec le Fonds monétaire international.
Première réaction internationale, celle du président français, Emmanuel Macron, arrivé lundi 31 août au soir à Beyrouth. « Il ne m’appartient ni d’approuver ni d’adouber » le prochain gouvernement libanais, a-t-il déclaré, souhaitant cependant s’assurer « que c’est bien un gouvernement de mission qui sera formé au plus vite pour mettre en oeuvre les réformes ».
La nomination de Moustapha Adib, annoncée quelques heures à peine avant l’arrivée de Macron, a été parrainée par un groupe d’anciens premiers ministres, dont Saad Hariri, Fouad Siniora et Najib Mikati, après le rejet par le puissant mouvement chiite Hezbollah et ses alliés politiques de deux autres candidats. Moustapha Adib est un sunnite, comme le veut – encore – la tradition politique au Liban. En vertu du partage du pouvoir entre les confessions, le président de la République est chrétien maronite, le premier ministre musulman sunnite et le président du parlement musulman chiite. Un confessionnalisme ancré dans la vie politique mais aussi sociale, trop ancré pour qu’il puisse disparaître facilement, malgré les appels à son abolissement, malgré le constat qu’il s’agit d’un des maux majeurs du pays. Et pour preuve, au lendemain de la démission, le 10 août, du gouvernement de Hassane Diab suite à la gigantesque explosion qui a ébranlé le port de Beyrouth le 4 août, les vieilles pratiques politiciennes ont repris leurs droits, la scène politique fonctionnant depuis des années sur le principe du consensualisme. Le choix de Moustapha Adib répond encore à ce système.
Comment donc faire bouger les lignes ? Le président français, Emmanuel Macron, qui effectue sa deuxième visite depuis l’explosion du port, semble celui qui s’investit le plus dans ce sens, peut-être même plus que les Libanais eux-mêmes ... Au-delà de la symbolique de sa visite, et de celle de sa rencontre, lundi 31 dans la soirée, avec la célèbre chanteuse Fayrouz, une icône transcendant les clivages confessionnels, Macron a entamé le lendemain de son arrivée de lourdes discussions politiques avec les différentes figures de la scène politique au Liban. Il avait déjà tracé le chemin le 6 août dernier en pressant le Liban de réaliser des réformes d’urgence et en lui proposant un nouveau « pacte politique ».
Un nouveau pacte politique, oui, mais lequel ?
Mais de quel pacte politique s’agit-il ? Les « contraintes du système confessionnel » libanais ont conduit à « une situation où il n’y a quasiment plus de renouvellement et où il y a quasiment une impossibilité de mener des réformes », déclarait le président français trois jours avant sa visite au Liban. Un message qui a reçu de l’écho à Beyrouth : lundi 31 août, avant son arrivée, le président du parlement et chef du mouvement chiite Amal, Nabih Berri, a appelé à « changer le système confessionnel », emboîtant ainsi le pas au président Michel Aoun et au chef du puissant Hezbollah pro-iranien, Hassan Nasrallah, qui se sont eux aussi prononcés, la veille, pour une réforme en profondeur du système. Aoun a reconnu dans un discours à l’occasion du centenaire du Liban, célébré mardi 1er septembre, la nécessité de changer le système politique et appelé à proclamer un « Etat laïc », s’engageant à « appeler au dialogue les autorités religieuses et les dirigeants politiques afin d’arriver à une formule acceptable par tous et pouvant être mise en place à travers des amendements constitutionnels appropriés ». Et le Hezbollah s’est dit prêt à discuter de ce nouveau pacte, « à condition que ce soit la volonté de toutes les parties libanaises ».
Pour autant, le changement n’est pas facile, et la mission du président français quasi impossible, malgré toute sa bonne volonté. Est-elle suffisante pour changer tout un système de fond en comble ? Pour pousser des formations politiques, qui s’accrochent désespérément à ses privilèges, qui vivent par et pour le pouvoir, à accepter de le céder à autrui ? Pour trouver un compromis entre des partis faisant des calculs radicalement différents ? Certes, Emmanuel Macron arrive avec plusieurs atouts : sa volonté diplomatique qui n’exclut aucun acteur, les liens privilégiés et historiques entre Paris et Beyrouth, un contexte de crise existentielle pour le pays du Cèdre qui fait de la France son « dernier ami ». Cela risque toutefois de ne pas suffire. Les enjeux étant considérables, les noeuds sont nombreux, la résistance coriace.
Aujourd’hui au Liban, il y a consensus sur un seul point : le point de rupture est atteint. Entamer un vrai changement est cependant une tout autre affaire. Et, comme le dit l’universitaire Karim El-Mufti, cité par l’AFP : « Le système politique est au bout du rouleau. Tout le monde dit qu’on ne peut pas continuer comme ça, y compris les acteurs politiques, mais ils sont pris au piège. Ce système agit comme une souricière dans laquelle ils sont coincés ».
Il y a cent ans, le Grand Liban …
Il y a exactement un siècle, le 1er septembre 1920, le haut-commissaire de France pour l’ancienne province ottomane de Syrie, placée sous mandat français par la Conférence de San Remo du 25 avril de la même année, annonçait la création d’un nouveau pays, taillé en son sein, le Grand Liban. La proclamation se fait en grande pompe du haut des marches de la résidence des Pins, à Beyrouth, par le général Henri Gouraud, entouré des personnalités politiques et religieuses du nouveau pays. Les frontières de ce nouveau pays – qui sont celles du Liban d’aujourd’hui –ne se limitent plus au Mont-Liban et à Beyrouth, mais incluent la plaine de la Bekaa, à l’est, Saïda, Tyr et leur arrière-pays, au sud, ainsi que Tripoli et Akkar, au nord. Un tracé souhaité par le patriarcat maronite. Pour Paris, l’un des objectifs de la création du Grand Liban est en effet de protéger la communauté maronite, dominante sur le territoire libanais à cette époque.
Dès lors, la France se pose comme « protectrice » du pays du Cèdre. Elle systématise le confessionnalisme hérité de l’autonomie du seul Mont-Liban et l’étend à toute l’administration de son mandat. En 1926, les autorités françaises dotent le pays d’une Constitution. Celle-ci prône la « représentation équitable des communautés » et les élections reposent sur une « proportionnelle communautaire », combinant scrutin démocratique et quotas confessionnels. Aussi, le français, avec l’arabe, deviennent langues officielles. Mais depuis 1932, aucun recensement n’a été fait de peur de remettre en cause ce système, bien que les équilibres démographiques aient connu bien des changements durant un siècle. Plus tard, lorsque l’indépendance est proclamée le 22 novembre 1943, les dirigeants nationalistes de toutes confessions s’entendent pour conclure un « pacte national » sur la base duquel le pouvoir est partagé entre les différentes confessions.
Il y a cent ans, la France imposait le confessionnalisme par ce pacte, aujourd’hui, elle prône un « nouveau pacte national ». La « tendre mère » est toujours là … .
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