
Patrouille de la Finul à la frontière israélo-libanaise, où la tension reste vive depuis plus d'une semaine.(Photo : AFP)
Guerre des nerfs à la frontière israélo-libanaise. La situation s’est certes relativement calmée depuis l’incident de la semaine dernière entre le Hezbollah et l’armée israélienne, il n’en demeure pas moins que la tension reste palpable. Comme à chaque accrochage entre eux, l’implacable vérité revient en surface, démontrant à quel point la paix est fragile. La tension est vive, et les déclarations faites cette semaine de part et d’autre sont martiales. Des soldats israéliens surveillent la frontière israélienne avec le Liban dans la ville de Metula, au nord d’Israël, l’armée israélienne reste en état d’alerte et se dit prête à riposter à toute attaque du Hezbollah. Le mouvement libanais affirme que l’action anti-Israël est « irrémédiable », Israël le prévient qu’il « joue avec le feu ».
Un air de déjà-vu, en quelque sorte. Or, cette fois-ci, le contexte est différent, et pour l’un, et pour l’autre. Israël est actuellement dans l’oeil du cyclone à cause de la crise du coronavirus et des troubles civils actuels qui voient des manifestations quotidiennes et violentes contre le premier ministre, Benyamin Netanyahu. Quant au Hezbollah, quoique toujours puissant au Liban, il est de plus en plus pointé du doigt comme étant l’origine de tous les maux du pays. « Avec cette double situation, il est peu probable que les choses dégénèrent », estime le politologue Hassan Abou-Taleb. « Le gouvernement israélien comme le Hezbollah n’ont aucun intérêt à se lancer dans une guerre qui leur coûtera cher, tant économiquement que politiquement. De plus, les alliés de l’un et de l’autre ne veulent pas d’escalade à l’heure actuelle. Washington, allié indéfectible de Tel Aviv, est en pleine crise à cause du coronavirus et en pré-campagne électorale. Et Téhéran, principal soutien du Hezbollah, croule sous les difficultés et les crises internes », explique l’analyste. Le paradoxe, ou plutôt le jeu politique, selon Dr Hassan About-Taleb, « c’est que chacun des deux camps a haussé le ton pour détourner les regards de la crise qu’il affronte sans pour autant vouloir aller plus loin ».
L’Iran en toile de fond
Si une plus grande escalade est à l’heure actuelle peu probable même si le ton reste belliqueux, le plus important est que ces dernières tensions à la frontière israélo-libanaise interviennent dans un contexte anti-iranien général, car qui dit Hezbollah, dit Iran (voir entretien). « L’Etat hébreu ne cherche pas de confrontation avec le Hezbollah, la priorité étant pour le moment d’empêcher l’établissement militaire de l’Iran en Syrie », a dit une source militaire israélienne.
Côté libanais, le président libanais, Michel Aoun, un allié du Hezbollah, a déclaré, samedi 1er août : « J’appelle l’armée libanaise à protéger la souveraineté du Liban contre la rapacité d’Israël tout en s’engageant à respecter la résolution 1 701 de l’Onu et à protéger notre territoire et nos eaux territoriales ». Une position que l’Etat se doit de prendre, même si le Hezbollah est un Etat dans l’Etat, une armée parallèle … Mais au-delà de l’inimitié avec Israël, les agissements du Hezbollah dérangent de plus en plus. Le désarroi suscité par la crise économique aiguë que vit le Liban, l’effondrement de la monnaie nationale et le basculement de pans entiers de la société dans la pauvreté a ravivé les crispations politiques autour du mouvement chiite pro-iranien. La rhétorique présentant le Hezbollah, parti puissant présent au gouvernement et milice surarmée, comme la source des calamités s’abattant sur le pays, reprend de la force dans une partie de la population. Ce qui est en partie vrai. Et pour preuve, le chef de la diplomatie libanaise, Nassif Hitti, a présenté, lundi 3 août, sa démission, affirmant ne plus pouvoir accomplir ses responsabilités dans les circonstances actuelles et déplorant que le Liban « se transforme en un Etat failli », une des missions qui démontrent la faiblesse du gouvernement actuel de Hassane Diab qui ne jouit pas de la confiance de la communauté internationale, justement à cause de la prééminence du parti chiite, facteur crucial dans la réticence des bailleurs de fonds à venir en aide au Liban. « C’est un gouvernement faible, dominé par le Hezbollah auquel on ne fait pas confiance, et qui, en plus, n’a pas pu mettre en place un vrai plan de réforme », explique Dr Mona Soliman, professeure de sciences politiques à l’Université du Caire. « Tant que c’est le cas, poursuit-elle, la crise libanaise se sera pas résolue. La communauté internationale craint que toute aide financière ne tombe finalement entre les mains du Hezbollah, et donc de l’Iran. L’ancien gouvernement de Saad Hariri jouissait d’une plus grande confiance, notamment des pays du Golfe. Aujourd’hui, les bailleurs de fonds veulent des garanties que les éventuelles aides aillent dans la bonne direction, que l’argent soit utilisé dans la reconstruction ». Toute aide est donc aujourd’hui liée non seulement à un plan économique précis, mais aussi à une sorte de « restructuration » politique du Liban. Ce qui revient à dire qu’elle est implicitement liée à une réduction du rôle du Hezbollah. Et pour preuve, Paris, un grand ami de Beyrouth, a une fois de plus réclamé des réformes attendues « depuis trop longtemps », avant toute aide. C’est ce qu’a dit le chef de la diplomatie française, Jean-Yves Le Drian, lors de sa visite le 23 juillet à Beyrouth. Certes, la France s’est toujours refusé d’accepter les injonctions américaines de rompre le dialogue avec le Hezbollah, mais les pressions des Etats-Unis, qui s’intensifient sur Beyrouth, réduisent les marges de manoeuvre de la France, habituellement un soutien du Liban, et des autres amis du pays. C’est d’ailleurs la France qui avait organisé, en avril 2018, la Conférence du Cèdre, qui avait promis 11 milliards de dollars au Liban. Mais depuis, les Etats-Unis, dans leur guerre contre l’Iran et le Hezbollah, ne cessent d’accroître leurs pressions sur le Liban. Et les sanctions financières américaines, qui existaient depuis des années contre le Hezbollah, se sont élargies pour toucher l’ensemble des autorités politiques libanaises, Washington considérant que l’organisation chiite est une partie intégrante du gouvernement. Ceci a pris une plus grande ampleur depuis l’imposition de la loi César, qui impose des sanctions contre tous particuliers ou entreprises commerçant avec la Syrie.
Ce qui a poussé le premier ministre libanais à accuser, le 28 juillet, la France et la communauté internationale dans son ensemble de ne pas vouloir aider le Liban. Ce qui rappelle surtout cette triste réalité : le rôle du puissant Hezbollah reste le coeur de la crise libanaise.
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