Le premier ministre iraqien et le président iranien ont eu des discussions portant sur la stabilité de l'Iraq et de toute la région. (Photo : AFP)
Le premierdéplacement à l’étranger du premier ministre iraqien, Moustafa Al-Kazimi, depuis sa prise de fonctions en mai dernier, a été en Iran, la semaine dernière. Un choix loin d’être anodin. Une visite qui devait être suivie d’une autre en Arabie saoudite, mais qui a été annulée à la derrière minute en raison de l’hospitalisation du roi Salman, le 20 juillet dernier. Un exercice d’équilibriste pour le dirigeant iraqien, qui pourrait devenir un médiateur entre Riyad et Téhéran. « Le premier ministre iraqien a plusieurs messages à transmettre. Tout d’abord, il veut un approchement avec Riyad et, par la suite, avec tous les pays du Golfe car il veut augmenter les investissements arabes dans son pays. L’Iraq a besoin de milliards de dollars pour booster son économie et seuls les pays du Golfe sont capables d’y investir. De l’autre côté, il veut diminuer l’influence iranienne dans son pays. Alors, il vise à réaliser un équilibre de force au niveau économique et politique avec ses deux voisins considérés comme les deux puissances rivales de la région », explique Dr Mona Soliman, professeure de sciences politiques à l’Université du Caire. De leur côté, ajoute-t-elle, « selon certaines informations, les deux rivaux veulent apaiser les tensions qui les opposent, notamment au Yémen, où le conflit les a épuisés ».
Quelques jours avant son déplacement à Téhéran, où il a rencontré le président iranien, Hassan Rohani, et le guide suprême de la République islamique, l’ayatollah Ali Khamenei à Téhéran, Kazimi avait reçu à Bagdad le ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif. « Téhéran voulait envoyer un message à Riyad par le biais de Kazimi, mais le report de la visite de ce dernier à Riyad suspend de fait toute tentative de médiation », estime Mona Soliman.
L’Arabie saoudite et son allié américain sont à couteaux tirés avec l’Iran, auquel ils reprochent entre autres de vouloir imposer son influence dans la région notamment en Iraq depuis l’invasion américaine de 2003. Face à cela, l’Iraq, qui détient de bonnes relations tant avec l’Iran qu’avec les Etats-Unis, se doit de trouver un juste équilibre. Ainsi, lors de sa visite à Téhéran, le premier ministre iraqien, accompagné des ministres des Affaires étrangères, des Finances, de la Santé et du Plan, ainsi que de son conseiller pour la sécurité nationale, ont discuté avec les dirigeants iraniens des moyens de renforcer les liens commerciaux, de la lutte contre le nouveau coronavirus, mais aussi des efforts destinés à assurer la stabilité de l’Iraq et de la région.
Plusieurs questions délicates
Or, si l’Iraq tente timidement de contrer l’influence politique de son voisin iranien, les deux pays sont fortement liés, notamment sur le plan économique. L’Iraq est l’un des principaux marchés pour les exportations non pétrolières. « Les deux gouvernements souhaitent élargir les relations bilatérales pour atteindre 20 milliards de dollars », a indiqué le président iranien à l’issue de sa rencontre avec le dirigeant iraqien.
Kazimi a pris ses fonctions de premier ministre en mai après environ quatre ans à la tête du renseignement iraqien. Il est réputé respecté des services de renseignements iraniens et des cercles du gouvernement, mais aussi apprécié de Washington où il est attendu d’ici début août pour poursuivre le dialogue stratégique entre l’Iraq et les Etats-Unis, qui maintiennent des troupes dans ce pays. Kazimi a été un ardent défenseur de la souveraineté de l’Iraq et a bouleversé les groupes et les milices armés en Iraq qui sont affiliés à l’Iran. Mais aussi, il est connu par son refus de l’intervention américaine dans son pays. « A cet égard, on peut dire qu’un autre objectif de cette visite est d’éviter que l’Iraq ne se transforme en un terrain d’affrontements pour l’Iran d’un côté et l’Arabie saoudite et son allié américain de l’autre », explique Dr Soliman. Un objectif difficile à réaliser, car tous les camps sont en alerte et leurs relations sont toujours tendues. Le guide suprême iranien, Ali Khamenei, a indiqué au premier ministre iraqien que Téhéran n’interfèrerait pas dans les relations entre Bagdad et Washington, tout en estimant que la présence américaine en Iraq était « source d’insécurité ». « L’Iran ne se mêlera pas des relations entre l’Iraq et les Etats-Unis. Mais la République islamique souhaite que le gouvernement iraqien décide d’expulser les Américains puisque leur présence est source d’insécurité », a affirmé le guide suprême, alors que les Américains maintiennent plusieurs milliers de soldats en Iraq. Le guide suprême a pris pour exemple l’élimination en janvier par les Américains du général Qassem Soleimani, commandant de la force Al-Qods — unité d’élite chargée des opérations extérieures des Gardiens de la Révolution —, tué par une frappe de drone près de l’aéroport de Bagdad. « Ils ont tué votre invité dans votre maison et l’ont ouvertement assumé », a relevé Ali Khamenei. En riposte à l’assassinat de Soleimani, Téhéran avait lancé des missiles contre des bases militaires iraqiennes abritant des Américains, provoquant d’importants dégâts matériels sans faire de victimes, selon Washington.
Cela fait des années que l’Iraq est au coeur d’une lutte d’influence. D’un côté, les Américains, de l’autre, les Iraniens. Chacun défend ses propres intérêts : pétroliers, économiques, présence militaire ou idéologique. Face à cela, les responsables iraqiens ont les mains liées. En prévision du dialogue stratégique qui sera lancé ce jeudi 30 juillet entre Bagdad et Washington, des responsables iraniens ont multiplié les visites en Iraq ces dernières semaines. Esmail Qaani, chef de la force Al-Qods, l’unité d’élite chargée des opérations extérieures de l’Iran, s’est récemment rendu à Bagdad pour une visite officielle, la première du genre. Car l’Iran tente de préserver ses intérêts en Iraq. Ce dernier se trouve donc dans une position délicate. Crise sanitaire oblige, ce dialogue stratégique entre Bagdad et Washington se déroulera via visioconférence. Personne ne sait combien de temps dureront exactement ces discussions. L’idée est de rouvrir un canal de communication entre l’Iraq et les Etats-Unis, dont les relations s’étaient dégradées lors du mandat du précédent premier ministre iraqien, Adel Abdel-Mahdi, qui était considéré comme « l’homme de Téhéran ».
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