Manifestation contre l'intervention turque à Benghazi, principale ville de l'est libyen. (Photo : AFP)
« Hasm 2020 », tel est le nom des manoeuvres militaires que l’armée égyptienne mène depuis plusieurs jours dans l’ouest du pays. Des manoeuvres de grande envergure qui, selon les forces armées, impliquent des exercices navals, aériens, et des forces spéciales. Un message de dissuasion qui intervient alors que la situation en Libye reste extrêmement tendue, et que la Turquie multiplie ses actes de provocation, continuant délibérément à noyer le territoire libyen avec des milliers de mercenaires envoyés de Syrie (17 000 selon Ahmed Al-Mesmari, porte-parole de l’Armée Nationale Libyenne (ANL) et d’y renforcer sa présence militaire. Au point que le secrétaire général de l’Onu, Antonio Guterres, a exprimé son inquiétude sur le regroupement de forces militaires autour de la ville de Syrte, située à mi-chemin entre Tripoli à l’ouest et Benghazi à l’est. « Nous sommes très préoccupés par la concentration militaire alarmante autour de la ville et le haut niveau d’interférence étrangère directe dans le conflit en violation de l’embargo sur les armes décrété par l’Onu, les résolutions du Conseil de sécurité et les engagements pris par les Etats membres à Berlin en janvier », a insisté Antonio Guterres, lors d’une réunion du Conseil de sécurité consacrée à la Libye et tenue par visioconférence mercredi 8 juillet. Guterres a également dénoncé une « interférence étrangère ayant atteint des niveaux sans précédent » en Libye, avec « la livraison d’équipements sophistiqués et le nombre de mercenaires impliqués dans les combats ».
Nouvelles provocations turques
Faisant fi de tout cela, Ankara poursuit sa logique de guerre, avec l’annonce d’un exercice naval par la marine turque en Méditerranée. Des manoeuvres qui se sont déroulées au large des côtes libyennes dans trois régions différentes. Pour Ankara, il s’agit de montrer une détermination à recourir à la force pour maintenir sa présence en Libye. Déjà, la semaine dernière, lors d’une visite à Tripoli, le ministre turc de la Défense, Hulusi Akar, avait signé un accord qui donne les pleins pouvoirs à Ankara, lui accordant le droit d’engager une intervention militaire directe en Libye, celui d’établir des bases militaires dans le pays et en accordant aux militaires turcs l’immunité diplomatique. « De telles actions et déclarations provocantes sont une preuve claire de la politique de jusqu’au-boutisme turque, au risque d’un plus large embrasement », estime Amira Abdel-Halim, politologue au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram. En effet, depuis l’intervention turque et son soutien aux forces du Gouvernement d’union nationale (GNA) de Fayez Al-Sarraj, la situation s’est nettement compliquée en Libye. Et, selon l’analyste, « par cette démonstration de force que sont les manoeuvres turques en Méditerranée, la Turquie veut dire qu’elle poursuivra coûte que coûte son intervention sur le terrain. Son objectif est d’imposer une nouvelle donne sur le terrain avant d’entamer un quelconque processus de négociations, et ce, pour être en position de force ». Les forces du GNA, que les Turcs appuient, « avec un soutien externe significatif, continuent leur avance vers l’est et sont maintenant à 25 km à l’ouest de Syrte », a-t-il également relevé.
La problématique actuelle est donc comment stopper la Turquie ? Et si elle s’obstine à tenter une avancée vers l’est, notamment Syrte et Al-Jufra, la ligne rouge fixée par le président Abdel-Fattah Al-Sissi, quelles seront les conséquences ? Lors d’une réunion du Conseil de sécurité sur la Libye tenue par visioconférence le 8 juillet, le ministre des Affaires étrangères, Sameh Choukri, a appelé la communauté internationale à « faire face au danger terroriste et à la résurgence de Daech dans les villes de l’ouest de la Libye, notamment à Sabratha ». « Nous ne tolérerons pas que ce danger menace notre pays », a-t-il dit. Le chef de la diplomatie a également rappelé que la position de l’Egypte appuie « une solution politique pour une Libye unifiée, comme mentionnée dans la Déclaration du Caire », l’initiative de paix lancée le 6 juin dernier en concordance avec les résultats de la Conférence de Berlin de janvier dernier. « Le Caire a toujours privilégié l’option de la paix, mais, comme l’a dit le président égyptien, si les choses évoluent de manière à présenter une menace à la sécurité nationale, l’Egypte va répondre. Et les manoeuvres Hasm 2020 montrent que l’Egypte est prête », estime Amira Abdel-Halim.
Auprès de la communauté internationale, il y a consensus sur le fait que la solution politique est la seule option. Lors de la séance du Conseil de sécurité du 8 juillet, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, dont le pays appelle les parties libyennes au dialogue, a estimé qu’il n’existe pas de solution militaire à la crise qui affecte le pays. Lavrov a déclaré : « Dans la pratique, cela (ndlr : le règlement du conflit) ne peut se réaliser qu’à une seule condition : il faut cesser immédiatement les hostilités et arrêter les tentatives des parties de faire avancer leurs groupes armés dans n’importe quelle direction ». « A présent, l’Armée nationale libyenne, d’après nos évaluations, est prête à signer un acte de cessez-le-feu immédiat mais Tripoli ne veut pas le faire, comptant sur la solution militaire », a-t-il ajouté. « La Russie et la Turquie ont déjà des intérêts en Syrie, c’est une carte que jouent les Russes. Moscou veut faire pression sur Ankara pour qu’elle-même fasse pression sur le GNA en vue d’un règlement politique. Mais pour le moment, le GNA refuse », explique l’analyste. En attendant, face aux forces du GNA appuyées par la Turquie, l’ANL, dirigée par le maréchal Khalifa Haftar, se dit prête à faire face à toute offensive du GNA dans l’ouest libyen.
Lien court: