Encore une offensive turque anti-kurde en Iraq. Ankara a lancé, le 17 juin, une opération terrestre et aérienne qu’elle a surnommée « Griffe du tigre » contre les Kurdes dans le nord de l’Iraq. Objectif annoncé par la Turquie: combattre les Kurdes du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Pour Ankara, il s’agit d’une « légitime défense contre les forces du PKK », comme l’a déclaré le ministre turc de la Défense, Hulusi Akar. « Le Parti des travailleurs du Kurdistan est aujourd’hui moins actif sur le sol turc, mais il a conservé des bases dans le nord de l’Iraq », a-t-il dit. Les autorités turques justifient en outre leur opération par une recrudescence récente des attaques contre les commissariats et les bases militaires situés près de la frontière iraqienne. Mais selon les analystes, cette offensive a plusieurs autres buts dont le plus important est une démonstration de force: attirer l’attention de la communauté internationale sur le poids, les capacités et les forces d’Ankara. En effet, si la Turquie a déjà mené plusieurs opérations du genre depuis mai 2019, celle-ci intervient dans un contexte particulier : l’intervention turque en Libye auprès des forces du Gouvernement d’union nationale (GNA) et toutes les complications qu’elle a engendrées dans le conflit libyen et sur la scène régionale. « Les forces armées turques sont déjà actives et combattent en Syrie et en Libye et leurs navires maintiennent la pression dans l’est de la Méditerranée, provoquant l’inquiétude de la France et de l’Europe. Avec cette opération, Ankara veut prouver que son armée est aussi capable de combattre en Iraq », estime Dr Tarek Fahmy, politologue et professeur de sciences politiques à l’Université du Caire et à l’Université américaine du Caire (AUC). Une véritable effronterie turque, donc. « La Turquie a de grandes velléités expansionnistes, elle veut avoir son mot à dire dans plusieurs crises régionales pour inquiéter la communauté internationale et faire pression pour obtenir ce qu’elle désire », affirme Dr Mona Soliman, professeure à la faculté de sciences politiques à l’Université du Caire. Selon elle, la Turquie a plusieurs objectifs : « Tout d’abord, elle veut envoyer un message à Washington. Le dialogue stratégique entre Bagdad et Washington a commencé et Ankara veut montrer qu’elle peut frapper en Iraq. Autre raison, les Kurdes syriens viennent de signer un accord de réconciliation pour s’unifier et s’organiser, et ils ont appelé les Kurdes des autres pays à les rejoindre. Un appel qui a inquiété Ankara, la question kurde étant sa bête noire. Les Turcs veulent donc fragiliser les Kurdes turcs installés en Iraq », explique-t-elle. A cela s’ajoutent des facteurs internes. D’après l’analyste, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, veut redorer son blason, alors que sa popularité est en baisse selon les sondages et que son parti, le Parti de la justice et du développement (l’AKP), est critiqué. Erdogan tente ainsi de satisfaire les autres partis souhaitant éloigner le parti PKK et ses partisans.
Et Mona Soliman d’ajouter : « Les Kurdes iraqiens sont considérés souvent comme le point de liaison entre ceux de Syrie, de Turquie et d’Iran. Aussi, il s’agit là du premier affrontement avec le nouveau premier ministre iraqien, Mostafa Al-Kazemi. Ce dernier est considéré comme l’homme fort qui refuse toute intervention étrangère dans les affaires de son pays. Et la Turquie veut dire qu’elle y est toujours influente ».
Réactions mesurées de Bagdad
et d’Erbil
Sur le terrain, l’ampleur exacte de l’opération turque n’est pas connue, faute d’accès à la zone par des parties indépendantes. Mais elle est plus limitée que les offensives d’envergure lancées ces dernières années par Ankara en Syrie contre des combattants kurdes syriens.
En réaction, le ministère iraqien des Affaires étrangères a convoqué, jeudi 18 juin, l’ambassadeur de Turquie, Fatih Yildiz, et lui a remis une « note de protestation fortement formulée », appelant l’activité militaire de la Turquie dans la région une provocation. Bagdad a exigé un retrait immédiat des forces turques et a confirmé qu’il avait renforcé la sécurité aux frontières. Une réaction assez mesurée, selon les observateurs. En effet, si Bagdad n’a pas réagi de manière virulente, c’est parce que Kazemi veut en tirer profit, il veut diminuer la force des Kurdes iraqiens et avoir une souveraineté totale sur son pays pour faire face aux difficultés qu’il affronte. « Les Kurdes d’Iraq ont été aidés, notamment par les Américains, dans la lutte anti-Daech, ils sont devenus une vraie force bien armée, organisée, unifiée et entraînée, plus forte même que les forces gouvernementales », explique Tarek Fahmy.
Si la réaction de Bagdad est justifiée, pourquoi celle du Kurdistan autonome est-elle elle aussi modeste? Mona Soliman répond: « Le Kurdistan iraqien est tiraillé entre tous les camps, il doit rester à une même distance et avoir de bonnes relations avec Bagdad, les Turcs et les Kurdes. C’est la seule entité kurde jouissant d’une autonomie dans la région, mais il dépend de Bagdad économiquement et politiquement. Dans le même temps, Ankara est un partenaire économique incontournable d’Erbil ». Des interconnexions bien complexes l
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