Comme un air de déjà-vu, des manifestations ont éclaté cette semaine en Syrie près de 10 ans après celles de 2011, qui ont donné lieu à un conflit complexe qui a causé la mort de plus de 380000 personnes et provoqué un million de déplacés. Cette fois-ci, les protestataires se sont mobilisés pour exprimer leur colère contre une flambée des prix (une augmentation de 133% depuis mai 2019, dans un pays où 9,3 millions de personnes subissent l’insécurité alimentaire, selon le Programme alimentaire mondial). En effet, au cours des derniers jours, le dollar a bondi de 2300 à plus de 3000 livres, soit plus de quatre fois le taux officiel, fixé en mars par la Banque Centrale à 700 livres pour un billet vert. Avant la guerre, un dollar valait 47 livres.
Une situation qui a poussé Damas à se tourner vers son voisin libanais pour s’approvisionner en dollars. Lorsqu’à l’automne 2019, le pays du Cèdre a connu des difficultés économiques et une contestation sociale, il a fragilisé la Syrie dans son sillage, d’où l’interconnexion des deux crises (voir principal).
Selon des analystes, cette dégringolade est suscitée par l’inquiétude face aux nouvelles sanctions américaines, alors que la loi César, promulguée en décembre dernier par le président américain et impliquant de nouvelles sanctions contre Damas, doit entrer en vigueur ces jours-ci. Le texte prévoit un gel de toute aide à la reconstruction pour les autorités syriennes ainsi que des sanctions contre le régime de Bachar Al-Assad ou des entreprises collaborant avec celui-ci. Elle punit donc aussi tous ceux qui soutiennent ou entretiennent des relations économiques avec la Syrie. « Cette loi constitue un cauchemar pour Damas et pour ses deux alliés, Téhéran et Moscou. Les Russes y voient une forme de pression pour qu’ils lâchent du lest en Syrie. Quant à l’Iran, il a perdu beaucoup de son influence dans la région et sa situation économique freine ses ambitions politiques », explique Dr Mona Solimane, professeure de sciences politiques à l’Université du Caire.
Dans une tentative de calmer la rue, Bachar Al-Assad a limogé le 11 juin son premier ministre, Imad Khamis, en poste depuis 2016. L’ingénieur Hussein Arnous a été nommé pour le remplacer. Or, selon les analystes, le nouveau premier ministre est, lui, peu apprécié par les Syriens. Selon l’analyste, « il n’y a que deux solutions pour régler la crise: soit le régime entame une vraie réforme politique et économique sous l’égide de la communauté internationale, une réforme incluant une reconstruction de la Syrie et une vraie lutte contre la corruption, soit il cède le pouvoir et ne participe pas à la période de transition », explique Dr Mona.
Car si les manifestants veulent une amélioration des conditions de vie, ils revendiquent aussi la lutte contre la corruption et une vie politique libre et démocrate, comme l’a expliqué le directeur de l’Observatoire Syrien des Droits de l’Homme (OSDH), Rami Abdel-Rahmane. « Les manifestations ont débuté avec des slogans appelant à améliorer les conditions de vie avant qu’elles ne se transforment en revendications politiques », a-t-il affirmé.
Or, selon Mona Solimane, il y a de fortes chances que ces nouvelles manifestations soient orchestrées de l’étranger. « Il est difficile d’imaginer que le peuple syrien, épuisé, soit sorti spontanément dans la rue. Il semble que même les alliés de Damas, à savoir Téhéran et Moscou, commencent à lâcher la personne de Bachar Al-Assad. Ce dernier entrave toujours la transition politique dans son pays et les travaux du comité choisi pour rédiger la nouvelle Constitution syrienne. Ainsi, les alliés du régime tentent de faire pression sur Damas, notamment à cause de la loi César, qui les touche directement ». Une analyse qui justifie le lieu de l’éclatement de la contestation. La Russie y possède une base militaire et les milices iraniennes y font la loi .
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