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Libye: La paix est-elle possible?

Abir Taleb avec agences, Dimanche, 14 juin 2020

Le Caire a lancé une nouvelle initiative de paix destinée à résoudre la crise libyenne. Saluée par la communauté internationale, cette initiative intervient alors que l’intervention turque a compliqué le conflit.

Libye  : La paix est-elle possible  ?
La « Déclaration du Caire » devrait ouvrir la voie à une relance du processus politique.

Après des discussions avec le maréchal Khalifa Haftar, chef de l’Armée Nationale Libyenne (ANL), qui contrôle l’est du pays, et le président du parlement de l’Est libyen, Akila Saleh, le président Abdel-Fattah Al-Sissi a présenté, samedi 6 juin, une nouvelle initiative de paix pour la Libye. Celle-ci, basée sur le respect de toutes les initiatives et décisions internationales précé­dentes concernant la Libye, a ins­tauré un cessez-le-feu à partir du lundi 8 juin, première étape avant tout règlement. Baptisée la « Déclaration du Caire », l’initiative propose la création d’un conseil pré­sidentiel élu, et vise à empêcher « les groupes extrémistes et les milices » de contrôler les ressources du pays. Selon le président de la République, elle comprend « une représentation équitable des trois régions à ce conseil présidentiel, la fusion des institutions de l’Etat libyen et l’adop­tion d’une déclaration constitution­nelle » qui ouvre la voie à une relance du processus politique. Elle réclame également le retrait des « mercenaires étrangers de tout le territoire libyen », le « démantèlement des milices et la remise des armes », a dit Abdel-Fattah Al-Sissi, pour que « l’ANL soit en mesure de remplir ses responsabilités militaires et sécuritaires ». L’initiative appelle aussi au parachèvement des travaux du Comité militaire 5+5 à Genève, sous les auspices des Nations-Unies.

« Il s’agit d’une importante initia­tive qui peut servir de base pour un règlement global d’autant plus qu’elle englobe les différents volets de la période transitoire avec précision, bien plus que ce qui est sorti de la Conférence de Berlin, tenue en jan­vier dernier », estime Mona Soliman, professeure de sciences politiques à l’Université du Caire, qui explique aussi qu’un des ses points positifs est « le fait que d’autres personnalités que celles aujourd’hui présentes sur la scène, consensuelles, peuvent diri­ger le Conseil présidentiel ». « Le Caire oeuvre à une initiative de paix depuis un certain temps, c’est une réponse politique à la démarche mili­taire offensive de la Turquie », dit-elle. Et d’ajouter: « L’initiative du Caire prouve que le soutien égyptien est politique ».

C’est dans ce contexte que le maré­chal Khalifa Haftar a dit espérer que le président Sissi pourra accomplir des « efforts urgents et efficaces pour contraindre la Turquie à cesser com­plètement le transfert d’armes et de mercenaires vers la Libye ». En effet, l’intervention turque dans le conflit libyen, aux côtés du Gouvernement d’union nationale dirigé par Fayez Al-Sarraj (GNA), et l’envoi de merce­naires en Libye ont bouleversé l’équi­libre sur le terrain et compliquer davantage le conflit. Mais le contexte est tendu: le même jour de l’annonce de cette initiative, le GNA, qui y a opposé un refus, lançait une opération destinée à « conduire ses troupes jusqu’à Joufra et Syrte ». Une opéra­tion qui s’inscrit dans le sillage de la reprise, par le GNA, de la capitale Tripoli, et de plusieurs villes du litto­ral, dont Tarhouna, qui étaient sous le contrôle de l’ANL depuis avril 2019. Or, le président Sissi a mis en garde « toute partie en Libye contre toute intention de poursuivre une solution militaire à la crise ». C’est dire la complexité de la situation.

Deux scénarios

Toute la question est désormais de savoir comment les choses vont évo­luer dans la période à venir alors que le pays reste divisé et que sur le ter­rain, le GNA poursuit sa guerre. Nous sommes, en fait, face à deux scénarios: des pressions sur Ankara et le GNA, la partie réfractaire, pour accepter l’initiative de paix et aller de l’avant vers un règlement politique, ou une reprise de plus belle de la guerre. En effet, lors des derniers développements militaires sur le ter­rain, il n’y a pas eu de combats achar­nés entre les forces du GNA et celles de l’ANL, mais un redéploiement de l’ANL, qui peut toujours, selon les analystes, en cas d’échec de cette nouvelle tentative de paix, remobili­ser ses forces pour reprendre les ter­ritoires qu’elle a perdus. « La Déclaration du Caire ne peut devenir réalité, ne peut être appliquée sur le terrain sans l’accord du GNA. Or, ceci nécessite des pressions interna­tionales tant sur le GNA que sur la Turquie ». D’où l’appel du président Sissi à un appui international à son initiative et à l’organisation, par l’Onu, de négociations entre les auto­rités rivales de l’ouest et de l’est du pays. D’ores et déjà, plusieurs capi­tales ont salué la Déclaration du Caire, dont Riyad, Abu-Dhabi et Amman, mais aussi Washington, Moscou et Paris. « Cet appui inter­national, notamment celui de la Russie et des Etats-Unis, octroie à l’initiative égyptienne un certain poids puisque c’est la communauté internationale qui peut exercer des pressions sur les parties concer­nées », affirme Mona Soliman. « Mais c’est la Russie qui est la plus à même de jouer un rôle parce que les Etats-Unis sont en période pré-électorale et vivent actuellement une période assez trouble. Quant aux institutions internationales, comme les Nations-Unies ou l’Union euro­péenne, elles ne peuvent pas faire grand-chose ».

Mais que peut faire Moscou ? D’après certaines informations, non confirmées, affirme l’analyste, Sarraj va se rendre en Russie dans les jours à venir et il sera question d’un certain « marchandage ». « Moscou peut tenter de faire pression sur Ankara, et le GNA pour qu’il accepte les négociations en contrepartie de concessions concédées à la Turquie au sujet de la Syrie, un pays où la Russie et la Turquie sont toutes deux impliquées, et surtout à l’heure où de nouveaux combats se profilent à Idleb », pense Mona Soliman. Juste une hypothèse pour le moment.

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