Une brèche ? Le conflit yéménite peut-il bénéficier de la crise du coronavirus ? Trop tôt pour répondre, même si la coalition, qui soutient depuis 2015 le gouvernement yéménite face aux rebelles houthis, a annoncé, le 8 avril, un cessez-le-feu de deux semaines, qui pourrait être prolongé et ouvrir la voie à une solution politique plus large au conflit qui fait rage depuis plus de cinq ans. Une annonce intervenue en pleine crise du coronavirus et après plusieurs appels lancés par l’Onu pour arrêter toutes les guerres pour lutter et affronter la propagation du nouveau virus. Prenant les devants, Riyad, par la voix de son vice-ministre de la Défense, le prince Khaled bin Salman, a ainsi appelé les rebelles à « faire preuve de bonne volonté », estimant que « le cessez-le-feu de deux semaines créera un climat de nature à apaiser les tensions et à aider les efforts onusiens en vue d’un règlement politique durable ».
Mais d’ores et déjà, le scepticisme est de mise. Les rebelles houthis, qui contrôlent la capitale Sanaa et d’autres régions du pays, ont en effet rejeté ce cessez-le-feu, le qualifiant de « manoeuvre » et accusant la coalition de l’avoir violé, juste après son entrée en vigueur. « L’agression n’a pas cessé et jusqu’à ce moment il y a des dizaines de frappes aériennes continues », a déclaré, jeudi 9 avril, Mohamad Abdel-Salam. « Nous considérons que ce cessez-le-feu est une manoeuvre politique et médiatique pour améliorer l’image de la coalition dans ce moment critique où le monde est confronté à une pandémie », a ajouté le porte-parole.
Plus tôt, Yasser Al-Houri, secrétaire général du Conseil politique, une haute instance dirigeante des rebelles, avait estimé que l’annonce saoudienne visait à « éluder » un plan de paix en cinq points présenté à l’émissaire des Nations-Unies, Martin Griffiths, par les Houthis. Dans ce document publié par les rebelles, les Houthis appellent au retrait des troupes étrangères du Yémen et à la fin du blocus de la coalition sur les ports et l’espace aérien du pays. Ils exigent également que la coalition paie les salaires des fonctionnaires pour la prochaine décennie et finance la reconstruction, notamment des bâtiments détruits lors des frappes aériennes.
Pressions onusiennes
Pas sûr que ces conditions soient acceptées par le gouvernement yéménite légitime et par la coalition. Pour le moment, les efforts se concentrent sur l’application d’une trêve, alors que parler de pas concrets en vue de la paix semble prématuré, même si les appels en ce sens se multiplient. Vendredi 11 avril, le Conseil de sécurité de l’Onu a salué l’annonce du cessez-le-feu unilatéral par la coalition, appelé les Houthis à faire de même et encouragé les parties à continuer à coopérer avec l’envoyé onusien « dans le but de trouver une solution politique globale inclusive et imaginée par les Yéménites eux-mêmes en vue de résoudre leurs préoccupations légitimes ». Auparavant, le secrétaire général de l’Onu, Antonio Guterres, avait estimé que seul le dialogue permettrait aux parties de se mettre d’accord sur un mécanisme permettant de maintenir un cessez-le-feu à l’échelle nationale. Il avait appelé à la reprise d’un processus politique pour parvenir à un règlement global.
Et avant d’évoquer toute tentative de dialogue, il faut voir si la trêve peut vraiment fonctionner. « Il est très difficile d’en juger dès maintenant. Mais les deux camps ont besoin d’appliquer cette trêve pour revoir leurs comptes et s’entretenir avec leurs alliés. Or, ces derniers sont occupés par leurs affaires internes, surtout avec le danger du coronavirus. L’Arabie saoudite est soumise à une forte pression à cause de la baisse du prix du pétrole. De même, Riyad n’a quasiment rien gagné dans son bras de fer contre l’Iran, un pays qui maintient son poids dans la région, notamment dans quatre pays arabes : le Liban, la Syrie, l’Iraq et le Yémen », estime Dr Mona Soliman, professeure de sciences politiques à l’Université du Caire. Cependant, l’Iran est lui-même fortement confronté à la crise du coronavirus étant le pays le plus touché par la pandémie au Moyen-Orient. Et entre la gestion de cette crise, ses retombées économiques et les sanctions américaines, Téhéran est en position délicate. « Il est vrai que les Houthis ont une certaine puissance, mais ils sont isolés dans deux régions du Yémen: Sanaa et Hodeïda et leurs environs. Le reste du pays est contrôlé soit par les forces gouvernementales et leurs alliés, soit par d’autres milices armées, soit par des groupes djihadistes. Et les rebelles souffrent actuellement du manque d’aides iraniennes à cause du coronavirus. Alors le vrai pari dans cette période, est de voir comment chaque partie va tenter de protéger ses acquis ou camper sur ses positions », conclut l’analyste .
Lien court: