Pour faire encore plus pression sur la communauté internationale, la Turquie, en désaccord avec la Russie sur le dossier syrien, a annoncé dimanche 1er mars mener une nouvelle opération, « Bouclier du printemps », dans la ville d’Idleb, contre le régime du président syrien Bachar Al-Assad. En quête d’appui occidental, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a ouvert les portes de l’Europe aux migrants, qui, par milliers, femmes et enfants compris, affluent depuis dimanche 1er mars en direction de la frontière avec la Grèce. Préoccupée, l’Union européenne a annoncé une réunion extraordinaire de ses ministres des Affaires étrangères dans les jours à venir pour discuter de l’aggravation de la situation à Idleb. Encore une fois donc, le conflit prend des proportions internationales : Ankara oblige l’Europe à réagir alors que ses différends avec Moscou, allié de Damas, éclatent au grand jour. Cela dit, le ministre turc de la Défense, Hulusi Akar, a souligné qu’Ankara ne cherchait pas la confrontation avec Moscou. « Le but de l’offensive turque est de mettre fin aux massacres du régime et d’empêcher une vague migratoire », a déclaré le ministre.
Sur le terrain, la Turquie a multiplié depuis samedi 29 février les frappes de drones contre les positions du régime syrien, mais c’est la première fois qu’Ankara annonce officiellement que celles-ci s’inscrivent dans le cadre d’une opération plus générale. L’opération a été déclenchée pour se venger après la mort, vendredi 28 février, de 33 militaires turcs (35 au total depuis une semaine) dans des frappes aériennes attribuées au régime, les plus lourdes pertes essuyées par Ankara depuis le début de son intervention en Syrie en 2016. Les frappes turques ont causé la mort de près d’une centaine de militaires syriens et combattants de groupes alliés à Damas au cours de ces derniers jours. Dans ce climat explosif, l’armée syrienne a averti dimanche 1er mars qu’elle abattrait tout avion ennemi au-dessus de la région d’Idleb. Avec l’appui de l’aviation russe, le régime syrien mène depuis décembre dernier une offensive meurtrière pour reprendre cette région, dernier bastion rebelle et djihadiste en Syrie.
Cette escalade est due à plusieurs raisons selon les analystes. « Ce climat explosif plane depuis le 20 février lorsque le président turc a lancé une attaque contre une petite ville au nord d’Idleb. Tous ces actes d’agression turcs sont des tentatives qui visent à empêcher le régime syrien de reprendre le contrôle d’Idleb. Plusieurs raisons stratégique, économique, commerciale, politique et militaire ont fait d’Idleb le point d’achoppement entre la Syrie et la Turquie. Tout d’abord, pour les deux pays, Idleb est une ville stratégique, elle relie entre le nord et le sud du pays, aussi, elle est traversée par les deux autoroutes internationales M4 et M5 reliant le Liban à la Syrie, d’un côté, et l’Iraq, l’Iran et la Syrie, de l’autre côté. Tous les échanges commerciaux dans cette région passent par Idleb et par ces routes, d’où l’importance du contrôle de cette ville », explique Dr Mona Soliman, professeure de sciences politiques à l’Université du Caire. « Deuxième raison, ajoute-t-elle, Idleb est un point de liaison entre les plus importantes villes syriennes dans les différents domaines industriel, touristique et commercial, comme Alep, Damas, Hama et Homs. Troisième raison, Idleb renferme toute l’opposition syrienne, les djihadistes des groupes de Daech et Al-Qaëda, ainsi que tous les loyalistes au régime turc. Aussi, le président turc veut-il faire d’Idleb une ligne frontière séparant les villes occupées par les Turcs du reste de la Syrie ».
Selon l’analyste, Ankara est en état d’alerte depuis que le régime syrien a lancé son offensive pour reprendre les régions du nord. « Et la mort de 35 officiers turcs en territoire syrien embarrasse Erdogan devant son parlement et son peuple. D’ailleurs, l’opposition turque a demandé de retirer les forces turques présentes à l’étranger », explique Dr Soliman.
Prochain sommet Erdogan-Poutine
Ce n’est pas la première fois que la Turquie mène des opérations dans le nord de la Syrie. La différence est que cette fois-ci, la tension turco-russe est à son comble. Bien que la Turquie soutienne certains groupes rebelles et la Russie le régime, les deux pays avaient renforcé leur coopération sur le dossier syrien ces dernières années. Le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a indiqué dimanche qu’il espérait une rencontre entre Erdogan et Poutine les 5 et 6 mars. « Ce sera sans aucun doute une rencontre difficile, mais les chefs d’Etat confirment leur volonté de régler la situation à Idleb, c’est important », a déclaré Peskov. Selon les analystes, cette rencontre visera à trouver d’autres solutions à cette crise. « Le régime syrien peut débloquer les 12 points de surveillance turcs. Il se peut que Moscou et Damas acceptent la présence d’une force turque dans la région de Nayrab pour protéger les intérêts turcs, avec, en contrepartie, la suspension de l’opération Bouclier du printemps », conclut Dr Mona Soliman.
Catastrophe humanitaire
L’escalade à Idleb a donné lieu à une véritable crise humanitaire, alors que la situation y était déjà catastrophique. Depuis le début de l’offensive du régime en décembre dernier, près d’un million de personnes ont été déplacées dans cette région frontalière de la Turquie, un exode d’une ampleur sans précédent en aussi peu de temps depuis le début en 2011 de ce conflit qui a fait plus de 380 000 morts. Ankara, qui accueille quelque 3,6 millions de Syriens sur son sol, redoute un nouvel afflux de réfugiés. Affirmant que son pays ne pourrait faire face à une nouvelle vague de réfugiés, le président Erdogan a indiqué samedi 29 février que la Turquie avait ouvert sa frontière avec les pays européens pour laisser passer les migrants se trouvant déjà sur son territoire. Après cette annonce, des milliers de personnes se sont dirigés vers la frontière avec la Grèce, qui avait été la principale porte d’entrée de l’Europe lors de la grave crise migratoire qui a secoué le continent en 2015. Ce jour-là, les Nations-Unies avaient chiffré à 13 000 le nombre de migrants massés le long de la frontière entre la Turquie et la Grèce. Les jours suivants, plusieurs milliers de personnes continuaient d’affluer au point de passage de Pazarkule (Kastanies, côté grec).
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